« Je suis une victime de mutilation sexuelle masculine »

Comme beaucoup d’hommes nés aux États-Unis, Jonathon Conte a subi une circoncision lorsqu’il était bébé. Il milite aujourd’hui contre la pratique et est devenu une figure connue du mouvement intactiviste américain.

Dans cet entretien accordé à James Loewen en 2011, Jonathon témoigne de sa prise de conscience et de son évolution personnelle concernant la circoncision. Voici la vidéo de cette rencontre, sous-titrée en français par nos soins, suivie de la transcription.

TRANSCRIPTION

« Je m’appelle Jonathon Conte. Je suis une victime de mutilation sexuelle masculine et je suis un intactiviste.

J’ai entendu parler de circoncision pour la première fois quand j’avais 14 ou 15 ans. J’ai vu la photo d’un pénis intact sur Internet et ça m’a laissé un peu perplexe parce que c’était quelque chose que je n’avais jamais vu avant, je ne comprenais pas trop ce que je regardais. C’est à travers cette expérience que j’ai commencé à réaliser que le corps dont j’avais toujours pensé jusqu’alors qu’il était celui avec lequel j’étais né n’était en fait pas le corps avec lequel j’étais né. Une partie de moi avait été coupée.

J’ai lutté contre cette idée pendant un bon moment. Je suis passé par une période de déni, pendant laquelle j’avais compris que j’avais subi une circoncision, mais j’estimais que ça ne m’avait pas affecté, que les effets n’étaient pas significatifs. Une fois que j’ai commencé à m’intéresser de plus près à la procédure et aux conséquences de l’ablation de cette partie du pénis, ça a commencé à vraiment me peser. J’ai souffert de périodes de déprime incroyable pendant les quelques années qui ont suivi. J’avais du mal à supporter le sentiment de ne pas être complet, à la fois physiquement et sexuellement.

J’ai tout fait pour essayer de comprendre comment on avait pu me faire une telle chose, comment j’avais pu être victime d’une chose aussi odieuse, alors que les personnes qui avaient autorisé cela auraient dû veiller sur moi. Il y a eu une période avec beaucoup d’émotions intériorisées : colère, déprime, ressentiment… Toute une gamme d’émotions que j’avais vraiment du mal à gérer. Je n’avais personne à qui en parler. Je me sentais très isolé. Je me sentais désespéré. Ce qu’on m’avait fait m’affectait tellement profondément que c’en était devenu un fardeau incroyablement lourd à porter et je ne parvenais pas à y faire face, alors j’ai tout gardé en moi pendant de nombreuses années. Ça m’a pris beaucoup de temps avant de pouvoir parler ouvertement à la fois de ma propre circoncision et de ce que je ressens envers la pratique elle-même.

Alors que je commençais à faire des recherches plus poussées sur la circoncision, j’ai découvert le mouvement intactiviste. J’ai commencé à comprendre que je n’étais pas tout seul et qu’en fait, des tas d’autres hommes s’étaient sentis comme moi en grandissant. Quand j’étais petit, je n’aurais jamais pensé qu’une partie de moi avait été coupée. Personne ne s’est jamais assis près de moi pour me dire : « voilà, tu es un garçon et on a coupé une partie de ton pénis », donc la possibilité d’une telle chose ne me serait jamais venue à l’esprit. À mesure que j’en apprenais plus sur l’acte et sur ses effets secondaires, ainsi que les risques qu’il faisait courir, je suis tombé sur le mouvement intactiviste et j’ai appris les premiers efforts [de lutte contre la circoncision infantile] de Marilyn Milos et NOCIRC. J’ai toujours considéré la baie de San Francisco comme le berceau du mouvement intactiviste.

J’ai déménagé à San Francisco il y a un peu plus d’un an, et l’une des choses que j’étais impatient de faire, c’était de m’impliquer davantage dans le but de faire cesser cette pratique, cette pratique de mutilation sexuelle forcée des garçons. Plus j’ai passé de temps à m’investir dans cette cause et plus c’est devenu facile pour moi d’être public et d’en parler avec les gens, parce que je crois qu’en parler est crucial. Si on n’en parle pas, ça ne finira jamais, or ça doit s’arrêter, il faut que ça s’arrête. Il faut absolument que ça s’arrête.

La mutilation sexuelle forcée des enfants n’est pas un droit parental. La mutilation sexuelle forcée des enfants n’est pas un droit religieux. Amputer des parties saines du corps d’un enfant n’est pas une pratique médicale légitime. Si moi, en tant que victime, ainsi que d’autres victimes, ne nous élevons pas contre cette pratique, elle continuera, et d’autres hommes continueront à vivre les sentiments douloureux que j’ai subis, et je ne veux pas que cela arrive. Je veux que les gens soient complètement informés à propos des vastes conséquences physiques, physiologiques et psychologiques que cette procédure entraîne pour les hommes.

L’intactivisme est pour moi un moyen de canaliser les émotions négatives que je ressens par rapport à ce qu’on m’a fait, et d’en faire quelque chose de positif. Quelque chose qui puisse aider à rendre les choses meilleures pour les hommes à l’avenir. L’une des raisons pour lesquelles je me retrouve aussi fortement impliqué dans le mouvement, c’est que je ne sais pas comment faire autrement pour gérer les émotions qui sont en moi et auxquelles je vais devoir faire face le restant de ma vie, je le crains. Donc pour moi, l’activisme est thérapeutique, dans le sens où cela m’aide à gérer mes propres émotions et en même temps cela contribue à aider les autres, essentiellement.

La première chose que j’ai faite publiquement en tant qu’activiste fut de participer à la Marche des fiertés de San Francisco l’an dernier, et j’ai défilé avec le groupe intactiviste. Au début, j’étais hésitant à le faire. J’étais un peu nerveux d’être en public, de tenir une pancarte, de prendre position de façon aussi claire. Mais finalement je me suis dit qu’il fallait le faire. Il fallait que j’y sois, il fallait que je prenne position. Il fallait que je fasse tout ce que je pouvais pour essayer de faire avancer le débat public au sujet de ce qui se passe pour des millions d’hommes dans ce pays. Donc c’est la première chose que j’ai faite. Après avoir terminé ma première Marche des fiertés, je me suis senti un peu plus à l’aise avec ça. Après la marche, je me suis senti plein d’énergie, j’avais l’impression d’avoir fait ce qu’il fallait et j’ai commencé à participer à d’autres événements publics organisés par les intactivistes de la Baie [de San Francisco], qui est le groupe intactiviste local.

Ces derniers mois, j’ai l’impression d’avoir beaucoup mûri et, pour tout un tas de raisons, je suis plus à l’aise pour discuter en profondeur de ce sujet avec les gens. J’étais donc ravi et fier de participer le week-end dernier à la fois au stand et au défilé. Je pense qu’on a eu un merveilleux accueil. C’était super et j’étais très content de pouvoir le faire.

Pendant les derniers mois j’ai eu beaucoup d’occasions d’apprendre comment parler de cette question aux gens, en particulier aux inconnus, sans me sentir nerveux. Je suis l’une des personnes très impliquées dans le projet de loi de San Francisco contre les mutilations sexuelles masculines, qui donnera lieu à un vote en novembre. J’étais l’un des volontaires qui recueillaient des signatures pour le projet de loi. J’ai personnellement récolté plus de 300 signatures dans ce but. Donc au cours de la période pendant laquelle on récoltait des signatures, j’ai parlé de ce sujet à beaucoup, beaucoup, beaucoup de gens.

Souvent les gens sont bien informés là-dessus et nous soutiennent complètement, parfois les gens n’y ont juste jamais vraiment réfléchi, et après en avoir discuté avec eux pendant quelques minutes, ils comprennent que la question relève des droits humains, que tous les enfants méritent le droit d’être protégés contre la violence physique et la maltraitance. Au cours de cette période, j’ai commencé à me sentir bien plus à l’aise pour discuter de cette question, en particulier de façon personnelle, en tête à tête avec quelqu’un. Alors non, je n’étais pas vraiment nerveux hier, j’étais enthousiaste. On a eu un nombre extraordinaire de visiteurs et j’ai été enchanté d’en faire partie. »

La Marche des fiertés de San Francisco (2011) :

« De temps en temps, je rencontre des gens qui sont réticents à considérer la question de la circoncision sous l’angle des droits humains, et sur le fait qu’on l’impose à des enfants qui ne peuvent pas consentir, et j’essaye juste de m’en tenir aux faits. J’essaye d’argumenter sur l’aspect « nécessité » : il n’y a aucune nécessité à cette procédure, aucune organisation médicale dans le monde ne la recommande. J’essaye de parler des risques inhérents à l’opération, qui peuvent aller jusqu’à la mort. Beaucoup de gens ne sont pas au courant que des bébés meurent de la circoncision chaque année aux États-Unis. Je discute de certaines des conséquences à long terme de l’intervention, à la fois physiques et psychologiques.

Je trouve que même si beaucoup de gens sont prêt à défendre la pratique de la circoncision, peu d’entre eux connaissent vraiment les fonctions du prépuce, et ça me perturbe vraiment, en particulier pour les médecins. Certains médecins qui sont très en faveur de la procédure sont parfois extraordinairement ignorants au sujet de cette partie du corps et des répercussions de son amputation. Ils ne comprennent pas toujours la fonction sexuelle du prépuce, sa fonction de protection, et la liste d’effets secondaires qui résultent de cette amputation chez l’homme. Donc j’essaye d’informer les gens à ce sujet et je fais de mon mieux pour répondre aux inquiétudes dont ils me font part.

Il y a tellement d’occasions, chaque jour, d’aider les gens à comprendre la gravité de ce qui est fait aux bébés garçons dans ce pays. Et je crois que c’est essentiel que les gens saisissent les occasions qui leurs sont présentées pour faire tout ce qu’ils peuvent, peu importe la force qu’ils ont, pour aider à mettre fin à cette pratique.

Ça n’affecte pas seulement les hommes qui ont été circoncis. Ça affecte leurs partenaires, ça affecte leurs familles, ça affecte leurs amis. Ça affecte les gens du milieu médical qui ont affaire à cette procédure : ceux qui la font, qui sont forcés de la faire, ou ceux qui peut-être ne la font pas directement eux-mêmes, mais qui sont susceptibles d’évoluer dans un environnement où la procédure est faite quotidiennement. C’est quelque chose qui, je crois, entraîne de lourdes conséquences sur les gens, et chacun d’entre nous est affecté d’une façon ou d’une autre. Je vois ça comme une violation des droits humains, une violation flagrante des droits humains qui est incroyablement répandue, juste sous notre nez. Et pourtant les gens sont malheureusement parfois un peu hésitants à s’en occuper avec la considération et l’assiduité que cela mérite.

Eh bien, les jeunes personnes qui veulent essayer d’aider à informer les gens sur les dommages de la circoncision et qui veulent aider à mettre fin à la pratique, ceux-là peuvent s’impliquer dans un groupe intactiviste local, ils peuvent participer à des événements publics, des stands, des événements locaux pour essayer d’informer les gens, ils peuvent faire des manifestations, ils peuvent tenir un blog, ils peuvent écrire, faire de l’art… Il y a tellement de possibilités de nos jours, en particulier grâce à Internet, pour que les gens se fassent entendre à leur manière et essayent de répandre l’information concernant les effets néfastes des mutilations sexuelles. Alors j’encourage tous ceux qui se sentent affectés par cela, ou qui ressentent le besoin d’aider, à le faire. Faites-le, quoi que vous puissiez faire, quelle que soit la force dont vous disposez, persévérez, et ensemble, avec d’autres intactivistes, vous pouvez faire changer les choses.

Nous sommes tous dans la même situation et ce n’est pas une personne seule qui fera cesser cette pratique. Ce sera un effort de milliers de personnes qui se rassembleront et c’est avec leur force commune que l’on mettra enfin un terme aux mutilations sexuelles des enfants dans ce monde. »

Traduction et sous-titrage : Droit au Corps.