Décalottage : ne touchez plus au prépuce de bébé (Dr Naouri)

Note de Droit au Corps : l’article qui suit a été publié en 1986 dans la revue médicale Le Généraliste. Bien que l’obsession de décalotter les petits garçons dénoncée par le Docteur Naouri n’ait pas disparue, le discours des professionnels de santé sur le décalottage a tout de même beaucoup évolué depuis. On sait aujourd’hui que décalotter l’enfant est une mauvaise pratique.

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DÉCALOTTAGE : NE TOUCHEZ PLUS AU PRÉPUCE DE BÉBÉ

Docteur Aldo Naouri, pédiatre (Paris)
Ne touchez plus au prépuce de l’enfant. Le Généraliste 1986 : 868.

La nécessité du décalottage des nourrissons et des petits garçons, lors de la toilette ou de l’examen médical, est une idée très répandue chez les puéricultrices, les généralistes et même les pédiatres. Pourtant, peu de prescriptions sont aussi discutables et peu d’idées reçues sont aussi réfractaires à l’évaluation critique, alors que cette pratique est inutile et nocive.

Les conseils de puériculture donnés avant la sortie de la maternité ou lors des consultations ultérieures insistent sur la nécessité de décalotter régulièrement le nourrisson à l’occasion de la toilette. Il est fréquent aussi que le médecin se soucie d’effectuer lui-même ce décalottage pour « vérifier l’absence de phimosis ou libérer des adhérences. »

Le pédiatre Aldo Naouri

Aldo Naouri, pédiatre, déconseille la pratique du décalottage forcé chez l’enfant.

Le décalottage régulier du gland serait censé :

1) prévenir la formation du phimosis.

2) permettre la toilette, l’hygiène du gland et, pour les plus savants, de nettoyer du smegma et prévenir ainsi les infections (le smegma est le produit sécrété par les glandes exocrines situées dans l’endothélium préputial à son insertion autour du gland ; ce produit est lubrifiant et permet le coulissage parfait du prépuce sur le gland). Cette conception ancienne est restée tout à fait intacte dans la pratique quotidienne et dans certains écrits ; or les études rigoureuses faites sur le sujet invalident définitivement cette argumentation.

Le prépuce commence son développement quand l’embryon a huit semaines et recouvre le gland à seize semaines. Le feuillet interne du prépuce et la surface du gland sont recouverts par un épithélium commun qui les unit.

Un processus de desquamation et de kératinisation sépare progressivement ces deux surfaces. Ce processus se poursuit après la naissance et peut durer jusqu’à la puberté (Deibert, 1933, Gairdner, 1949).

Gland et prépuce physiologiquement unis

On conçoit que le terme « adhérences » soit inapproprié et fallacieux. Emprunté à la pathologie ce terme implique que le gland et le prépuce sont des structures d’abord séparées qui se trouveraient de nouveau réunies par un processus pathologique, sur lequel il faut agir.

Dans son étude, Le destin du prépuceGairdner (1949) a montré que la non-rétractilité du prépuce chez l’enfant de moins de trois ans est due au non-clivage du gland et du prépuce, et non à l’étroitesse du prépuce. Sur une série de 100 nouveau-nés, il a constaté chez seulement 4 % d’entre eux un prépuce entièrement rétractable. Chez 54 %, seul le méat pouvait être découvert et chez 42 % l’extrémité du gland ne pouvait être découverte. A 6 mois, 1 an, 2 ans et 3 ans, la proportion de prépuces non rétractables est successivement de 80 %, 50 %, 20 % et 10 %. Sur une série de 200 garçons de 5 à 13 ans, 20 % ont un prépuce non rétractable entièrement. (Note de Droit au Corps : les données de Gairdner sont inexactes, voir : Le développement naturel du prépuce).

Le médecin scolaire danois J. Oster (1968) a fait une remarquable étude, Le destin ultérieur du prépuce, pour déterminer quand précisément survient la séparation complète du prépuce et du gland, ainsi que la production de smegma et pour déterminer la fréquence du phimosis dans une population où le prépuce n’a fait l’objet d’aucune manipulation par les parents ou les médecins (la tradition du décalottage ou de la circoncision n’a jamais existé au Danemark).

L’étude a porté sur une cohorte de 1 968 garçons âgés de 6 à 17 ans suivis annuellement pendant huit ans et une étude transversale de contrôle sur 1 086 garçons.

Le phimosis (prépuce dont l’étroitesse empêche la rétraction) a été retrouvé chez 4 % de ces sujets, avec une incidence décroissante avec l’âge : 8 % chez les 6 à 7 ans, 1% chez les 16 à 17 ans. Le prépuce serré (rétractable avec quelque difficulté) était présent dans 2 % des cas. Dans les 9 200 observations, sans phimosis, où l’espace préputial a pu être examiné, le smegma était présent chez 5 % (1 % chez les 6 à 7 ans, 8 % chez les 16 à 17 ans) : la production de smegma augmente à 12 ou 13 ans. Le non-clivage partiel du prépuce était présent chez 63 % des 6 à 7 ans et 3 % des 16 à 17 ans. D’ailleurs, un signe pris en compte en endocrinologie pour la cotation de l’avancement de la puberté est précisément le raccourcissement relatif du prépuce.

Le phimosis : spontanément très rare

Ces études montrent que le phimosis est très rare quand le développement du prépuce est respecté. Le développement physiologique, c’est-à-dire le clivage progressif des feuillets interne du prépuce et externe du gland, l’imprégnation hormonale à partir de la septième année, le forçage doux et progressif par le gland lors des érections suffisant : la proportion de prépuces rétractables passe de 4 % à la naissance à 96 % à la puberté, 99 % à l’âge de 16 à 17 ans. Le décalottage comme prévention du phimosis ne serait censé prévenir finalement qu’une pathologie spontanément bien rare.

En revanche, la majorité des phimosis constatés (en dehors du Danemark) sont en règle acquis après des manœuvres forcées de décalottage chez le nouveau-né et le nourrisson (Boureau, 1982).

En effet, chaque dilatation forcée entraîne une déchirure de l’anneau préputial avec formation progressive d’un anneau cicatriciel fibreux peu ou pas extensible.

De plus, le décalottage en force d’un phimosis peut se compliquer assez fréquemment de paraphimosis : l’orifice préputial étroit et scléreux enjambe le gland et s’incarcère dans le sillon balanique. Si l’on diffère un recalottage qui s’avère toujours dans ces cas extrêmement difficile à obtenir, l’œdème envahit le gland et la réduction du paraphimosis devient difficile au point de nécessiter la section chirurgicale de l’anneau.

En pratique, le phimosis ne doit pas être diagnostiqué avec une tentative de décalottage mais à l’examen de la miction : le sac préputial est alors ballonné et le jet est fin et puissant. Notons qu’un phimosis ne peut en aucun cas constituer un obstacle à l’écoulement de l’urine capable de provoquer une dilatation des voies urinaires ou une hydronéphrose comme cela a pu être dit.

Que faire quand on constate un phimosis ?

Celui-ci n’occasionne aucune gêne avant la puberté. En effet, quelle que soit la perméabilité du prépuce, le gland n’est pas découvert lors des érections avant la puberté.

L’âge de 12 à 13 ans est celui qui convient le mieux pour pratiquer la circoncision : l’enfant comprend et accepte l’intervention, ressentie alors comme bénéfique. Avant cet âge, l’intervention est toujours vécue comme un préjudice et sur un mode violent qui peut laisser des traces sérieuses.

Note de Droit au Corps : des alternatives à la circoncision existent, notamment des crèmes à base de corticoïde ainsi que la plastie du prépuce. La circoncision est une mesure extrême qui ne devrait jamais être proposée en première intention lors d’un phimosis, voir cette vidéo.

L’hygiène du gland : la nature s’en charge

La longueur de l’urètre masculin exclut radicalement la possibilité d’infections urinaires ascendantes. Quant à l’hygiène du gland et du prépuce, il n’est pas nécessaire de s’en occuper : les urines émises avec force heurtent l’orifice préputial et viennent en tourbillon s’infiltrer à la périphérie du gland. Elles participent au balayage des cellules mortes et assurent une certaine asepsie. On observe parfois, bosselant la surface du prépuce des dépôts qui paraissent fixés aux plans profonds : si l’on découvre le gland, on constate des paquets compacts d’une matière dense, blanchâtre et friable : ce ne sont que des amas de cellules mortes qui se délitent d’elles-mêmes progressivement.

La technique actuelle de recueil de l’urine pour l’ECBU ne comporte plus le nettoyage au Dakin du gland décalotté et de la face interne du prépuce comme cela se faisait dans les années soixante, où l’on ne disposait pas de la numération des éléments figurés. L’espace préputial n’est plus considéré infecté a priori. Des infections préputiales existent, mais sont cependant peu fréquentes, il n’y en a pas plus chez les enfants au prépuce serré que chez les enfants à prépuce ouvert. Les thérapeutiques antiseptiques locales ou antibiotiques générales si nécessaire sont alors efficaces. Il apparaît donc qu’un souci de prévention des infections peut difficilement justifier la pratique du décalottage.

Enfin, nous avons vu que le smegma parait surtout à la puberté : une toilette simple est a conseillée à l’enfant, qu’il fait lui-même. Mais ce n’est plus le contexte d’une mère s’occupant de son petit garçon.

Le décalottage systématique : souvent angoissant

La manœuvre du décalottage est délicate, difficile à réaliser et douloureuse. Elle est mal vécue par l’enfant et par la mère. La mère est bien souvent angoissée, mal à l’aise, a peur de faire mal ou de mal faire. On peut se demander s’il n’y a pas quelque chose de pervers, voire incestueux, dans cette pratique que l’on impose aux mères. Les pères rejettent en général ces prescriptions d’un haussement d’épaules.

Quant à l’enfant, on peut se demander aussi si ce traumatisme répété, sans raison d’être, ne resurgira pas tôt ou tard lors de la vie sexuelle comme dans l’éjaculation précoce (même si d’autres origines peuvent être en jeu) qui est liée à une angoisse inconsciente de perdre ou d’endommager le pénis.

Pourquoi cet activisme iatrogène ?

La solution à ce problème est pourtant simple : il suffit de respecter la physiologie.

Pourquoi alors cet activisme aux conséquences iatrogènes ? Le désir de circoncision pour des raisons rituelles sort du cadre de cette discussion et du champ médical : le médecin n’a pas à intervenir ici.

Pourquoi cette prescription du décalottage est-elle si enracinée, si dogmatique ? Quelques lignes de réflexion peuvent être proposées. Il s’agit de l’organe sexuel et chacun peut constater par expérience personnelle qu’il ne laisse personne indifférent.

De plus, cette partie d’organe garde un certain mystère : personne ne sait à quoi sert le prépuce (Note de Droit au Corps : de nos jours, on le sait). La confrontation des populations pratiquant la circoncision et celles ne la pratiquant pas a pu focaliser l’agressivité sur ce bout d’organe et provoquer cet excès de précautions. Quoi qu’il en soit, la problématique se perpétue au travers des enfants qui en pâtissent.

On peut aussi, pour apporter une note humoristique, s’interroger sur les conséquences du fait que le seul roi français qui ait été porteur d’un phimosis, Louis XVI, ait été décapité.

En conclusion, sur une verge d’enfant, il ne faut rien faire, rien. Quel que soit l’âge.

Propos recueillis par le Dr Daniel DELANOË

 Source : l’art de l’allaitement maternel

 

[toggle title= »Bibliographie » state= »close » ]— Boureau M.—Le phimosis. in Perelman. Pédiatrie pratique 1982, tome 3, p. 3022.
— Deibert G.A.—The separation of the prepuce in the human penis. Anat. Rec. 1933, 57, 387.
— Gairdner D.—The fate of the foreskin. A study of circumcision. Brit Med. J., 1949, 2,1433.
— Naouri A —Touche pas à ma petite calotte ! L’enfant d’abord, 1985, no 97, p. 48-51.
— Oster J.—Further fate of the foreskin. Arch. Dis. Child. April 1986, 43, 200.
Le Dr A. Naouri est également l’auteur de L’enfant porté (Seuil, 1982), et Une place pour le père (Seuil, 1985).[/toggle]

 

Aperçu historique sur un « organe malheureux »

On sera peut-être surpris par le discours médical sur le prépuce et le phimosis au XIXe et au début du XXe siècle. Moins connu que celui sur la masturbation, il mérite cependant une certaine attention.

Dans sa thèse, J.-F.-C. Houzé écrit en 1860 que si le prépuce a l’avantage d’offrir une certaine protection du gland, il a surtout des inconvénients : même sans phimosis, il favorise des excoriations et un suintement mucopurulent, la gonorrhée bâtarde, fréquente dans les pays chauds. C’est un organe plutôt nuisible qu’utile d’où le nom « d’organe malheureux » que lui donne M. Ricord.

Le phimosis est tenu responsable de nombreuses maladies : atrophie de la verge et des testicules ; calculs, infections et dilatations des voies urinaires ; dysurie nocturne ; sensibilité particulière aux infections vénériennes ; fièvres ; pseudocoxalgie. Des troubles nerveux allant du simple mauvais caractère désobéissant jusqu’aux convulsions éventuellement mortelles, des paralysies, hémiplégies et paraplégies, des mouvements choréiques, du marasme au retard du développement.

Le phimosis peut provoquer des désirs vénériens immodérés, des manœuvres de masturbation ou au contraire une anaphrodisie complète. Il peut aussi donner lieu à « certains troubles nerveux offrant la plus grande analogie avec ceux que l’on observe chez les femmes atteintes d’une affection utérine, d’un déplacement en particulier, et principalement caractérisés par de la gastralgie, de l’hypocondrie ou des accès hystériformes. » (Fleury à l’Académie de médecine en 1851)

La circoncision permettrait la guérison de tout cet ensemble symptomatique, y compris les paralysies et les convulsions, comme l’ont constaté et écrit plusieurs auteurs. Dans quelle mesure la perplexité et l’inquiétude qui apparaissent dans ces vieilles théories sur le prépuce ne sont-elles pas encore responsables des attitudes d’aujourd’hui (comme la prescription du décalottage systématique des nourrissons) ? Attitudes moins scientifiques que fruit d’une rationalisation, comme on l’a vu.

Daniel DELANOË

— Butler C-A. — Nervous conditions induced by phimosis and adherent prepuce. Am. J Dermat.& Genito. U. Dis., St Louis 1907, XI. 134.
— Fleury. — Sur le phimosis congénital, au point de vue médico-chirurgical, Bulletin Acad. de Méd. Paris, 1851, XVII, 79.
— Henry M.-H. — Observations on the clinical features and treatment of phimosis in infancy and childhood, Am. J Obst. NY, 1855, XVIII, 386.
— Hett G. — On phimosis in infancy, Lancet. 1886 i. 396.
— Houzé J.-F.-C. — Du phimosis. Paris. 1860.