Maylis Boullanger, sexologue : « toute souffrance est légitime »

Maylis Boullanger est sexologue. Diplômée cette année, elle vient de lancer son activité. Elle a consacré son mémoire à l’excision et s’intéresse également à la circoncision. Droit au Corps l’a rencontrée.

Maylis Boullanger, sexologue clinicienne – maylisboullanger-sexologue.com

L’entretien s’est déroulé par échanges de mails durant l’été 2025. Les liens urls ont été ajoutés par Droit au Corps.

Droit au Corps : Pouvez-vous expliquer en quoi consiste la profession de sexologue ? Qu’est-ce qui vous a intéressé à exercer ce métier ?

Maylis Boullanger : La profession de sexologue est encore très peu connue et est généralement source de questionnements de la part des gens. On ne comprend pas souvent le rôle d’un sexologue et comment fonctionne notre métier. Il est fréquent que les personnes n’osent même pas demander de peur d’entendre la réponse. Et pourtant ! Notre travail est profondément humain. Nous nous intéressons au plus profond de l’intimité des personnes qui nous font confiance. De manière plus académique, on dit que nous prenons en charge les troubles sexuels. Mais cette définition est à la fois trop large et trop réductrice.

La relation humaine et l’empathie fondent notre métier. Lors des rendez-vous de sexologie, nous discutons des souffrances amenées par les patients. Souvent, ces questionnements ou souffrances durent depuis des années, et nous sommes parfois la première oreille bienveillante à laquelle ils osent se confier. 

Chaque personne peut venir consulter, que ce soit pour des problématiques comme le vaginisme, les dyspareunies ou les dysfonctions érectiles, l’éjaculation prématurée. Divers motifs peuvent concerner tout un chacun : les maladies qui impactent la sexualité, le handicap, la baisse de désir, une difficulté à atteindre l’orgasme, etc.

En sexologie, nous faisons également des séances où nous ne parlons pas de sexualité ! Je sais, cela peut surprendre, mais la sexualité est interdépendante de nombreux facteurs dans la vie des gens. Nous parlons aussi de l’enfance, de la charge mentale, du travail et de tout ce qui influence la vie intime… Nous ne pouvons pas isoler la sexualité et essayer de ne travailler que sur celle-ci, il faut prendre l’individu qui se présente dans sa globalité.

J’ai presque envie de dire que la sexologie vient à nous plutôt que l’inverse. Mais évidemment, quand on est avide de connaissances sur la psychologie en général, la sexologie arrive forcément à un moment. Les relations humaines et les inégalités de genre m’ont naturellement conduite à m’intéresser à l’intimité et à ce qui se joue dans la chambre à coucher une fois la porte close.

J’ai toujours été intéressée par ce qui est tabou, honteux. La sexualité nous concerne tous dans diverses dimensions et pourtant, bien qu’elle soit vantée par beaucoup comme devant être innée et évidente, la réalité est souvent bien plus complexe. La sexologie ne se limite pas au schéma classique, elle se doit d’être ouverte sur toutes les formes de sexualités et d’orientations.

Votre mémoire s’intitule « Les mutilations génitales féminines : impacts et prise en charge ». Qu’est-ce qui vous a conduit à travailler sur ce thème ?

Mon mémoire aborde un enjeu fondamental, qui doit être davantage mis en lumière dans une pluralité de domaines. L’excision et les mutilations génitales féminines plus globalement sont au carrefour de multiples dimensions : le sexisme, le plaisir, le droit humain, le traumatisme, la culture, l’identité, etc. C’est une pratique encore méconnue ou alors entourée de fausses croyances et de spéculations. 

Lors de mes études, ce sujet a vraiment été celui qui m’a le plus percuté émotionnellement, très vite j’ai été avide de connaissances sur le sujet. Les personnes réagissaient souvent avec stupeur à l’entente de mon sujet de mémoire. C’est également de cette manière-là que j’ai réalisé que la méconnaissance alimentait ces pratiques. Plus le sujet est démystifié, moins les femmes concernées se sentent seules, et mieux nous pouvons les soutenir pour mettre fin à ces mutilations. Il reste capital pour moi de dire que les femmes concernées sont les plus expertes de cette pratique, nous sommes là pour les écouter, apprendre d’elles et les soutenir. 

Plus personnellement, ce sujet m’a probablement aussi touchée pour la toute simple raison que je suis une femme.

Dans le cadre de ce mémoire, vous avez réalisé une étude. Pouvez-vous nous la présenter ?

Dans le cadre de ce mémoire j’ai choisi de réaliser une étude dite qualitative, c’est-à-dire avec un petit échantillon de femmes ayant vécu une MGF (mutilation génitale féminine). J’ai réalisé un entretien avec chacune des trois femmes, il s’agissait d’un entretien semi-directif (avec des questions ouvertes leur permettant d’élaborer). Avant les entretiens, toutes les participantes ont réalisé un FSFI (female sexual function index), il s’agit d’un auto-questionnaire standardisé pour évaluer la fonction sexuelle féminine. Avec les participantes, nous avons discuté de leur mutilation, quels impacts cela avait-il eu dans leur vie globale et sexuelle plus spécifiquement.

L’étude a permis de comprendre les conséquences psycho-sexuelles d’une mutilation génitale. Les résultats montrent que, si certaines femmes parviennent à retrouver une sexualité globalement satisfaisante, la mutilation laisse une empreinte durable sur l’estime de soi, le rapport au corps, la féminité et la relation à l’autre. La chirurgie de réexposition [intervention réparatrice qui consiste à rouvrir l’orifice vaginal ou à dégager la partie interne du clitoris restée sous la cicatrice après certaines formes de mutilation, N.D.L.R.] peut apporter un mieux-être physique ou symbolique, mais souvent elle ne suffit pas à elle seule. La réappropriation du corps et de la sexualité passe souvent par un soutien psychologique et/ou sexologique.

Vous intéressez-vous également aux conséquences de la circoncision masculine ? Lors de vos études, le sujet a-t-il été abordé ?

La circoncision  fait aussi partie des atteintes au corps d’un enfant. Le manque de consentement et d’information sur les conséquences à la fois physiques et psychiques sont à prendre en compte. Ce sujet a été abordé pendant mes études, notamment sur la prise en charge des personnes souffrant de cette intervention. 

Il circule encore beaucoup de désinformation sur la circoncision et une banalisation d’un acte touchant au plus profond de l’intimité des hommes. Malheureusement, actuellement, sont souvent évoqués uniquement les aspects « positifs » d’une circoncision sans jamais évoquer les conséquences à court et long terme. 

Même lorsqu’elle est consentie par l’adulte lui-même, la circoncision ne s’accompagne pas toujours d’un consentement pleinement éclairé : il n’a pas toujours toutes les informations nécessaires pour décider en pleine connaissance de cause. 

Les conséquences psychiques ont été abordées dans mes cours, je dirais comme toute souffrance qui est apportée en rendez-vous. Ce principe est déterminant : quelle qu’en soit la source, les conditions ou les raisons, toute souffrance amenée en rendez-vous est légitime.

L’un des motifs de rendez-vous indiqués sur votre site internet est « Mutilations génitales (excision, infibulation) ». Les personnes qui souffrent d’une circoncision peuvent-elles aussi vous consulter ? De même que les personnes intersexes qui ont subi des mutilations ? Quel rôle la sexologie peut-elle jouer dans l’accompagnement des personnes concernées ?

Mon travail est d’accueillir les questionnements et problématiques des personnes qui nous consultent. La circoncision est tout à fait la bienvenue. Si elle est source de souffrance, de mal-être psychique, un accompagnement est tout à fait possible. Comme je l’ai mentionné un peu plus haut : une souffrance est une souffrance, ce n’est pas mon rôle de la juger, cela n’aurait aucun sens, je l’accueille telle quelle. 

La prise en charge sexologique est bien souvent complémentaire d’un suivi en psychothérapie. En sexologie, je peux accompagner la réappropriation d’une sexualité réadaptée après une circoncision, travailler sur le changement de l’image de son appareil génital. 

Concernant les personnes intersexes, je ne m’estime absolument pas assez formée encore pour prendre en charge correctement ce sujet. Certains sexologues le sont bien plus que moi. Évidemment, c’est un domaine qui m’intéresse également dans une future formation pour pouvoir obtenir des outils pour les accompagner.

Le corps, et notamment les organes sexuels, restent un sujet tabou dans l’éducation. Encore de nos jours, le clitoris n’est pas correctement représenté dans des manuels scolaires de sciences naturelles. Concernant le pénis, il n’est pas rare que le prépuce soit absent des schémas anatomiques, aussi bien dans les ouvrages d’éducation sexuelle que dans les livres médicaux. Quelles conséquences cela peut-il avoir selon vous ? Pourquoi est-il important d’informer au mieux sur l’anatomie et le fonctionnement des organes sexuels ?

En effet, le clitoris émerge tout juste dans nos manuels scolaires. Récemment, nous avons pu constater que la représentation de l’utérus, des trompes utérines et des ovaires dans les manuels ne correspond absolument pas à leur position anatomique réelle.

Fréquemment, en consultation de sexologie, des femmes arrivent sans n’avoir aucune notion de l’anatomie génitale féminine, ce n’est clairement pas leur faute mais cela reste bien représentatif du tabou autour du sexe dans la société. Beaucoup de jeunes filles ne savent pas qu’elles ont un clitoris ; quand certaines le savent, son anatomie est parfois peu connue. Il en va de même pour les différentes fonctions des orifices. Un certain nombre de personnes ne savent pas la différence entre l’orifice vaginal et urétral. Cela alimente aussi les fausses croyances sur la sexualité durant la grossesse avec des parents qui ont peur lors de la pénétration de toucher la tête du bébé. Anatomiquement, le vagin est bien séparé de l’utérus par le col de l’utérus. Donc sauf restriction d’un professionnel de santé il n’y a aucun problème. 

J’utilise beaucoup d’exemples pour illustrer à quel point la méconnaissance de la sexualité, des organes sexuels et du corps peut être lourde de conséquences. En réalité, maintenir ce tabou anatomique revient aussi à garder le contrôle des corps, puisque la connaissance est un pouvoir. Par extension, cela perpétue un contrôle de la sexualité, du plaisir, et un héritage profondément sexiste issu de siècles de patriarcat. 

Concernant l’anatomie du pénis, il en va de même. On ne peut plus se cacher derrière la méconnaissance du rôle du prépuce. Il faut le représenter, l’apprendre et comprendre son fonctionnement. À l’heure actuelle, pour toutes les représentations des sexes anatomiques, nous ne pouvons pas faire l’impasse sur leur apparence naturelle initiale. 

Les manuels, les fiches et modèles anatomiques, les schémas, bref tout ce qui représente le corps, doivent représenter les organes de façon naturelle, mais aussi expliquer et illustrer les différentes variations que peut apporter la nature. Le prépuce doit non seulement apparaître, mais doit aussi être mentionné et décrit. 

À l’école, en cours d’éducation à la vie affective relationnelle et sexuelle, nous nous devons d’expliquer ce que sont les différences anatomiques. La circoncision et l’excision doivent aussi être expliquées. Notre corps nous accompagne toute notre vie, le connaître c’est se connaître. Cela contribue aussi à s’aimer puisque notre corps devient notre allié et non plus un élément étranger que l’on comprend mal.

Merci beaucoup de votre temps et de votre intérêt pour le sujet des mutilations sexuelles. Pour conclure, souhaitez-vous faire passer un message à notre lectorat ?

La santé mentale est primordiale, il ne faut jamais la négliger. J’encourage chacun.e à entamer une thérapie. Il n’y a pas de hiérarchie de la souffrance, vous êtes légitime. Le monde ne peut qu’aller mieux si chacun.e prend soin de soi.


Note : Droit au Corps n’a aucun lien commercial avec Maylis Boullanger, mais soutient les professionnels dont la démarche aide notre objet. C’est le cas du mémoire de Maylis Boullanger et de ses motifs de consultation, ou encore de l’équipe du site Sexoblogue qui a mis au point un modèle de pénis 3D en prenant soin de faire apparaître le prépuce.