Dans son numéro de novembre 2025, la revue suisse Santé Libre s’est entretenue avec Nicolas Maubert, co-président de Droit au Corps, dans le cadre de sa rubrique « Combat de vie ». Nous reproduisons ici cet entretien avec l’autorisation de Santé Libre.

Malheureusement, Santé Libre s’arrêtera en janvier 2026.
Les autres revues du groupe sont à retrouver sur BioSanté Editions.
Note : faute de place dans la version papier, l’entretien publié dans Santé Libre a dû être allégé de deux questions (l’une sur le lobby pro-circoncision, l’autre sur le décalottage forcé). La version présentée ci-dessous restitue l’entretien dans son intégralité, avec les sources accessibles via des liens directement intégrés dans le texte.
La circoncision : dernier grand tabou ?
Un homme sur trois dans le monde est circoncis. Pratique millénaire, elle reste pourtant taboue alors qu’elle soulève de graves questions éthiques, médicales et de consentement. Entre traditions, croyances et scandales sanitaires, le débat s’ouvre enfin. Rencontre avec Nicolas Maubert, président de l’association Droit au corps, qui milite contre la circoncision non consentie.
Pourriez-vous vous présenter et nous expliquer pourquoi vous avez créé l’association Droit au corps ?
J’ai 38 ans et j’ai été circoncis à 9 ans, à tort, à la suite d’un diagnostic erroné de phimosis. À l’adolescence, j’ai pris conscience de ce que j’avais perdu et j’en ai beaucoup souffert.
En 2015, avec d’autres personnes affectées, nous avons fondé Droit au Corps, qui œuvre prioritairement pour l’abandon de la circoncision non consentie.
Un homme sur trois dans le monde est circoncis… Comment expliquer le tabou voire l’omerta qui règne sur une pratique aussi courante ?
La pratique est très ancrée sur le plan culturel et religieux. Et elle touche au pénis, perçu comme un symbole de virilité. Elle est donc particulièrement difficile à remettre en question.
La plupart des hommes circoncis ont tendance à défendre ce qu’ils ont subi, parce qu’il est compliqué d’accepter qu’on a perdu quelque chose. D’ailleurs, ils n’ont généralement aucune idée de ce qu’ils ont perdu. Une étude a montré que la satisfaction d’être circoncis est liée à de fausses croyances sur le prépuce et les conséquences de la circoncision.
Qu’est-ce que la circoncision au juste ? Et sa brève histoire ?
La circoncision consiste en l’ablation du prépuce, la structure qui recouvre le gland du pénis au repos. La plus ancienne représentation connue de cette pratique se trouve en Égypte, sur un bas-relief daté d’il y a environ 4400 ans. Ses origines sont inconnues, mais plusieurs hypothèses sont avancées : acte symbolique de castration, substitut de sacrifice humain, rite de fertilité, rite de passage à l’âge adulte, acte prénuptial, notamment. Elle s’est institutionnalisée dans le judaïsme, s’est largement répandue dans l’islam, mais a été rejetée par le christianisme, qui l’a remplacée par le baptême.
À la fin du XIXe siècle, la circoncision s’est répandue dans les pays anglo-saxons pour lutter contre la masturbation, alors considérée comme un problème d’hygiène morale. Puis toutes sortes d’alibis médicaux ont assuré la reproduction de cette pratique jusqu’à nos jours.
Finalement, le prépuce joue bel et bien un rôle… et n’est qu’une autre victime de la folie du bistouri moderne ?
Le prépuce est constitué d’une double couche, comme les paupières (peau à l’extérieur, muqueuse à l’intérieur). Il est composé de récepteurs sensoriels spécialisés, de fibres musculaires et élastiques, de vaisseaux sanguins. Il représente jusqu’à la moitié de la peau du pénis et jusqu’à 100 cm² de surface.
Trois grandes fonctions lui sont attribuées :
- protectrice : de sa propre couche interne de muqueuse, de la muqueuse du gland, du méat urinaire ;
- sensorielle : c’est la partie du pénis la plus sensible au toucher ;
- mécanique : sa mobilité permet une stimulation du pénis et favorise le confort des deux partenaires.
Le prépuce a fait l’objet d’une véritable diabolisation dans le contexte puritain du XIXe siècle, qui a vu l’essor de la circoncision dans les pays anglo-saxons.
Dans quels contextes est-elle pratiquée ?
La circoncision rituelle est pratiquée pour des motifs culturels ou religieux chez les juifs, les musulmans, dans certaines communautés chrétiennes, ainsi que dans d’autres communautés d’Afrique et d’Australie.
La circoncision médicale est pratiquée soit pour traiter un trouble de santé présent (circoncision thérapeutique, rarement nécessaire), soit pour réduire le risque de possibles maladies futures (circoncision prophylactique, surtout aux États-Unis, où elle est majoritaire chez les nouveau-nés).
De nombreuses idées reçues perdurent sur le sujet.
On peut passer un temps considérable à démystifier les idées reçues en matière de circoncision, mais les choses sont simples : le prépuce est une partie saine et fonctionnelle du pénis, et non pas un défaut. Dès lors, son ablation est éthiquement injustifiable s’il n’y a pas de nécessité médicale ou de consentement. C’est pour cela qu’aucune société savante ne recommande la circoncision des enfants en bonne santé.
À ce sujet, une vaste campagne de l’OMS a été lancée en Afrique, à grand renfort de propagande. Pourtant, la circoncision ne protège pas du VIH…
Cette campagne est un scandale sanitaire. Les hommes qui acceptent de se faire circoncire ne sont pas correctement informés sur les risques et les conséquences de l’opération, et certains pensent à tort qu’ils sont protégés (confusion entre « réduction du risque » et « protection »). Il y a donc un vice de consentement. De plus, la campagne a aussi ciblé des enfants trop jeunes pour consentir, et même des nourrissons. En 2020, à la suite de différents scandales, l’OMS ne recommande plus de circoncire avant 15 ans.
Il est essentiel de comprendre que la réduction du risque n’est valable qu’à court terme, et non à long terme, en raison de l’exposition répétée au virus. L’explication est simple : en retirant le prépuce, on retire des cellules cibles pour le virus, donc on évite certaines transmissions en cas d’exposition, mais il reste des cellules cibles sur le gland et l’urètre, vers lesquelles le virus trouvera une porte d’entrée tôt ou tard.
La preuve formelle de l’absence de protection provient des études démographiques, qui ne montrent aucune différence de prévalence du VIH en population générale entre circoncis et non circoncis. Puisque la circoncision n’a pas d’effet dans le monde réel, ce que l’on savait bien avant la recommandation de l’OMS, cette campagne n’aurait jamais dû voir le jour.
Existe-t-il donc un lobby procirconcision ? Qui est derrière selon vous ?
Différents groupes de personnes ont intérêt à protéger voire à promouvoir la pratique, pour des motifs idéologiques ou économiques.
Il existe de véritables fanatiques de la circoncision, y compris dans la communauté scientifique. L’exemple le plus parlant est celui de Brian Morris, un biologiste qui considère que la circoncision infantile devrait être obligatoire. La revue systématique qu’il a co-publiée en 2013, très relayée dans la presse, a clairement été falsifiée pour conclure que la circoncision n’a pas d’effet négatif sur la sexualité.
Plusieurs auteurs qui ont poussé l’OMS à lancer la campagne de circoncision en Afrique collaborent ouvertement avec Brian Morris et appellent publiquement à la circoncision des nourrissons.
Par ailleurs, des groupes religieux font pression sur les politiciens dès que la circoncision est menacée d’interdiction. Même des représentants officiels des États-Unis et d’Israël interviennent pour empêcher toute interdiction.
La circoncision pose un problème majeur de consentement éclairé, car elle est souvent néonatale, ou avant 15 ans. De même que sur l’autonomie du corps.
Tout à fait, la question du consentement est au cœur du débat.
Car la circoncision est irréversible : un individu qui regrette d’avoir été circoncis ne peut pas revenir en arrière. Alors que l’inverse est possible : quelqu’un qui n’a pas été circoncis peut se faire circoncire s’il le souhaite, en connaissance de cause.
Dans l’intérêt de l’enfant et de l’adulte qu’il deviendra, il est donc préférable de reporter la décision d’une éventuelle circoncision à un âge où le consentement est possible.
Quels sont les complications et dommages collatéraux de la circoncision ?
La douleur, qu’elle survienne pendant ou après l’intervention, est une conséquence inévitable de la circoncision, même en cas d’anesthésie.
Même lorsqu’elle est effectuée dans les règles de l’art médical, la circoncision de l’enfant entraîne un risque de complications postopératoires pouvant atteindre 5 %, telles qu’une hémorragie, une infection, ou, dans de rares cas, une complication plus grave, comme une blessure du gland. Il existe également des complications ultérieures : la plus fréquente est un rétrécissement du méat urétral qui peut survenir dans 20 % des cas.
La circoncision peut entraîner toutes sortes de troubles dans la sexualité, mais trois conséquences surviennent inévitablement :
- toute sensation érogène provenant du prépuce est de fait éliminée ;
- le gland, initialement un organe interne, est désormais exposé à l’air et aux frottements, ce qui entraîne une désensibilisation susceptible de s’aggraver avec le temps ;
- le mécanisme de roulement-coulissement du prépuce est supprimé : sans mobilité du prépuce sur la verge, la masturbation et la pénétration deviennent plus abrasives, entraînant un risque d’inconfort voire de douleurs, tant pour l’individu circoncis que pour ses partenaires.
Enfin, la circoncision peut entraîner toutes sortes de troubles sur le plan psychique et développemental, à court et à long terme, en particulier lorsqu’elle est pratiquée dans la petite enfance, sans anesthésie adéquate.
En réalité, y a-t-il médicalement des avantages à la circoncision ?
Des études ont montré qu’il faudrait plus de 100 circoncisions pour prévenir une seule infection urinaire. Si elle survient, une infection urinaire se traite facilement avec des antibiotiques, comme pour les filles.
Par ailleurs, il faudrait jusqu’à 322 000 circoncisions pour prévenir un seul cas de cancer du pénis, cela au prix d’un nombre de complications bien plus élevé, dont des décès.
Enfin, l’ablation du prépuce réduit le risque de transmission de certaines IST, mais ne protège pas. Les études montrent bien que la circoncision n’a pas d’impact en population générale. Circoncis ou non, le préservatif est indispensable pour se protéger, mais aussi pour protéger son/sa partenaire.
Aucune de ces données ne justifie la circoncision d’un enfant en bonne santé. Irait-on retirer les lèvres vaginales des filles au motif que cela pourrait réduire le risque d’infection ou de cancer de la vulve ?
Aujourd’hui, des plaintes et des procès commencent à émerger… Une nouvelle ère qui s’ouvre ?
Il y a de nombreux signes d’espoir.
À partir des années 2010, plusieurs sociétés savantes européennes se sont prononcées contre la circoncision des enfants. C’est un signal fort sur la scène scientifique.
Aux États-Unis, un procès historique intenté contre l’État d’Oregon s’est ouvert cette année. Il vise à étendre la loi interdisant les mutilations sexuelles féminines, afin de protéger tous les enfants de manière égale.
En France, notre association a récemment rejoint le Conseil français des associations pour les droits de l’enfant et manifeste désormais aux côtés d’autres acteurs de la protection de l’enfance.
Que disent la loi française et le Code de déontologie : la circoncision est-elle une mutilation et porte-t-elle à l’intégrité du corps ?
L’article 41 du Code de déontologie médicale indique : « Aucune intervention mutilante ne peut être pratiquée sans motif médical très sérieux et, sauf urgence ou impossibilité, sans information de l’intéressé et sans son consentement. »
L’article 16-3 du Code civil stipule : « Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir. »
Il est indiscutable que la circoncision porte atteinte au corps puisqu’elle modifie le pénis de manière irréversible en retirant une structure saine, en laissant une cicatrice. À ce titre, elle peut légitimement être considérée comme une mutilation sexuelle.
Autre angle mort de la pédiatrie : le décalottage forcé des enfants. Une méthode d’un autre temps, fondée sur des données erronées ?
Cette mauvaise pratique s’est généralisée en même temps que la circoncision dans les pays anglo-saxons, durant l’ère anti-masturbation.
De nos jours, de nombreux médecins croient encore que le prépuce doit être complètement rétractable avant 6 ans. Cette information erronée a pour origine une publication de 1949, massivement diffusée dans la littérature médicale. À partir de 1968, d’autres études ont permis d’établir que l’âge moyen du décalottage est d’environ 10 ans, mais le mal était fait : des générations de médecins ont été victimes d’une formation défaillante, jusqu’à nos jours.
Ainsi, depuis des décennies, d’innombrables garçons subissent toutes sortes d’interventions alors que leur pénis est sain : traitement par dermocorticoïdes, décalottage forcé voire ablation du prépuce.
En 2017, six sociétés savantes allemandes ont publié une ligne directrice qui clarifie la situation en rappelant qu’un prépuce non rétractable est normal durant l’enfance, puisque le prépuce est initialement fusionné au gland et étroit. Il s’agit d’un état physiologique qui ne doit pas être confondu avec un état pathologique de phimosis. Le processus spontané et progressif de séparation du prépuce et son élargissement, permettant de découvrir le gland, peut durer jusqu’à la fin de la puberté. Par conséquent, les experts recommandent de proscrire toute tentative de décalottage forcé.
Propos recueillis par Gaspard Frey
