Le Conseil national de l’Ordre a suspendu deux médecins généralistes impliqués dans des circoncisions d’enfants. Parallèlement, deux informations judiciaires sont en cours : l’une pour « homicide involontaire », l’autre pour « blessures involontaires », dans laquelle Droit au Corps est partie civile. Les opérations ont été pratiquées sous les auspices du Centre de circoncision rituelle, qui continue ses activités dans plusieurs villes de France.

Le quotidien Sud Ouest, à l’origine des révélations pour chacune de ces affaires, en 2020 et en 2022, a rapporté de nouveaux éléments dans un article publié lundi 26 mai 2025. Droit au Corps fait le point.
Mort d’un nourrisson de deux mois
Le 25 mai 2022, le petit Raphaël, âgé de deux mois et demi, décède quelques heures après avoir été circoncis. Le drame a lieu dans une maison de Latresne (Gironde), dans le cadre d’une journée organisée par le Centre de circoncision rituelle (CCR) pour opérer 17 enfants.
La justice doit se prononcer sur la responsabilité éventuelle du docteur Alain M. dans la mort du nourrisson. Ce médecin généraliste est mis en examen pour « homicide involontaire » par un juge bordelais.
Parallèlement, l’intéressé vient d’être sanctionné par l’Ordre des médecins d’une interdiction d’exercer de trois ans. Sans se prononcer sur un éventuel lien avec le décès de l’enfant, l’instance disciplinaire lui reproche entre autres d’avoir réalisé une procédure d’anesthésie loco-régionale « qui excédait sa compétence de généraliste », qui plus est « sans disposer d’une installation convenable et des moyens techniques, notamment de réanimation, suffisants. »
Niant toute responsabilité, le médecin va contester cette décision devant le Conseil d’État. « Mon client estime avoir seulement pratiqué une anesthésie locale pour laquelle il était parfaitement compétent. Il souhaite s’expliquer devant le juge d’instruction car il est inadmissible pour lui de supporter le soupçon d’avoir tué un enfant », a commenté son avocat, Me Pierre-Henri Lebrun.
Des enfants victimes de graves complications
En 2020, une dizaine de plaintes sont déposées par des parents dont les enfants ont subi de graves complications liées à des circoncisions pratiquées par le docteur David A., médecin généraliste, au sein du CCR de Bordeaux.
« Mon fils avait perdu la moitié de son volume sanguin. Il a dû être réopéré. Quel cauchemar », se souvient la mère d’une victime auprès de Sud Ouest en 2020. Le pronostic vital de l’enfant avait été un temps engagé.
Le médecin est mis en examen pour « blessures involontaires ». Le parquet de Bordeaux a estimé qu’il y avait suffisamment d’éléments pour qu’il soit jugé. Notre association Droit au Corps est partie civile dans cette affaire, représentée par Me François Ruffié.
Par ailleurs, en février, le docteur David A. a été sanctionné par l’Ordre des médecins d’une interdiction d’exercer de trois ans, dont un avec sursis, alors qu’il avait fait appel. L’instance disciplinaire lui reproche notamment d’avoir confié les visites de contrôle et le suivi des soins à un imam sans compétence médicale et d’avoir « fait fi de la douleur supportée par les enfants en ne prescrivant pas d’antalgiques, immobilisant les jambes de l’enfant avec une sangle », parfois avec l’aide des parents.
David A., qui revendique plusieurs milliers de circoncisions, expliquait en 2020 à Sud Ouest faire partie d’une lignée de médecins familiers de la circoncision et avoir pratiqué ce geste dès l’adolescence, aux côtés de son père. Il assurait également être mohel, c’est-à-dire une personne habilitée à pratiquer la circoncision dans la tradition juive, un titre que lui conteste le grand-rabbin de France. « J’ai voulu lier le rituel au médical », résumait-il. C’est ainsi qu’il a cofondé le CCR, dont il serait toujours en partie propriétaire.
Sollicités par Sud Ouest dans le cadre de leur article du 26 mai, les avocats de David A. n’ont pas donné suite.
Quid du Centre de circoncision rituelle ?
Comme son nom l’indique, le Centre de circoncision rituelle est un organisme qui propose aux parents de faire circoncire leur enfant pour un motif rituel. À ce jour, il n’a pas été mis en cause.
« Lorsqu’elle est pratiquée pour des motifs non médicaux, la circoncision fait l’objet d’une ‘tolérance’, en dérogation au principe d’inviolabilité de l’intégrité de la personne humaine. Se situant hors du champ médical, les organismes de circoncision rituelle ne font pas l’objet de réglementation », explique Sud Ouest. « La discussion ne porte pas sur cette tolérance, mais sur le fait qu’elle n’autorise pas un médecin à s’écarter de ses obligations de sécurité et de prudence », précisent Mes Sophie Benayoun et Bernard Macera, deux des avocats des parties civiles.
Ainsi, bien que les locaux bordelais du CRR soient fermés depuis la médiatisation de ces drames, l’organisme continue ses activités dans les sept autres villes de France où il est implanté, en toute impunité.
Notons toutefois que Me Pierre Landete, avocat de trois familles constituées parties civiles dans l’affaire impliquant le docteur David A., compte demander la mise en examen du CCR.
Sur son site internet, le CCR dit s’entourer de « médecins et personnels hautement qualifiés ». Sauf que la circoncision est un acte chirurgical et, qu’à ce titre, elle ne peut être effectuée que par un chirurgien. Or les deux médecins mis en cause dans ces affaires sont des généralistes. Dans des propos rapportés par BFMTV en 2022, Me Landete résumait les choses ainsi : « Quand on est ni chirurgien, ni anesthésiste, ni urologue, on ne pratique ni la chirurgie, ni l’anesthésie, ni l’urologie. » La question se pose de savoir combien d’autres médecins non qualifiés continuent de circoncire des enfants au sein du CCR.
Il convient également de rappeler que, pour un médecin, il est contraire à l’éthique de circoncire un individu si celui-ci n’est pas apte à consentir et que l’opération est réalisée sans nécessité médicale. « À moins d’une urgence médicale nécessitant une intervention immédiate, aucun enfant — quel que soit son sexe ou son genre — ne devrait être contraint de subir une chirurgie génitale non consentie pratiquée par un professionnel de santé, même si ce dernier agit avec de bonnes intentions », expliquait l’éthicien Brian Earp en 2024, suite à la publication d’une étude intitulée Modifications génitales chez les mineurs prépubères : Quand les cliniciens peuvent-ils agir conformément à l’éthique ?
Enfin, la dimension économique doit être mentionnée. D’après les informations recueillies par Sud Ouest, le CCR facture une circoncision entre 300 et 500 euros. Une activité qui peut s’avérer très lucrative, surtout si elle n’est pas déclarée. « C’est une machine à cash », estime Me Landete. En effet, à raison de plusieurs circoncisions réalisées chaque semaine, un seul praticien peut gagner jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’euros par an.
Sollicité par Sud Ouest dans le cadre de leur article du 26 mai, le CCR n’a pas donné suite.
Voici l’ensemble des articles publié par Sud Ouest sur ces affaires :
- Bordeaux : un centre de circoncisions visé par une dizaine de plaintes, 25 octobre 2020
- Bordeaux : le médecin du centre de circoncision rituelle mis en examen pour mise en danger de la vie d’autrui, 27 mars 2021
- Bordeaux : le médecin d’un centre de circoncision poursuivi devant le Conseil de l’Ordre, 1er juillet 2021
- Bordeaux : le médecin d’un centre de circoncision interdit d’exercer pendant un an, 24 septembre 2021
- Gironde : un nourrisson meurt dans une maison de Latresne où il avait été circoncis le matin, 2 juin 2022
- Bordeaux : le cofondateur du centre de circoncision rituelle à nouveau suspendu par le Conseil de l’ordre, 27 juin 2022
- Nourrisson mort à Latresne après avoir été circoncis : un an après, les parents attendent toujours des réponses, 25 mai 2023
- Circoncision rituelle : deux médecins suspendus par le Conseil de l’Ordre et mis en examen, 26 mai 2025
L’information a été reprise par What’s Up Doc et Egora, deux sites d’information pour les médecins, et par des médias comme Le Parisien ou BFMTV.