Aux États-Unis, tout est bon pour justifier la circoncision

Par Tom Sau

Alors qu’outre-Atlantique, le débat sur le droit à l’intégrité physique bat son plein et que la pratique de la circoncision est en déclin, l’Association des Pédiatres Américains s’apprête à émettre des recommandations en faveur de la circoncision néonatale, selon le Washington Post.

A l’origine de cette décision de l’American Academy of Pediatrics, les études sur la prévention du sida effectuées sur les hommes adultes dans les zones où la maladie est très répandue, en Afrique subsaharienne.

Le soutien de cette pratique controversée ne manquera de provoquer un débat aussi âpre que celui qui opposa l’institution aux militants des droits de l’homme, lorsqu’elle proposa, en 2010, de légaliser une forme d’excision présentée comme « légère ».

Effectuée afin de drastiquement réduire le plaisir féminin, l’excision est condamnée dans tous les pays occidentaux. Mais malgré l’arsenal juridique, la pratique se poursuit dans la clandestinité ou lors de voyages dans le pays d’origine, dans les pires conditions d’hygiène, exposant les fillettes excisées à de graves complications.

Une « piqûre rituelle » plutôt que l’excision

Afin d’y remédier, un débat a surgi ces dernières années dans la communauté médicale anglo-saxonne : faut-il légaliser une forme d’excision légère qui serait comparable à la circoncision masculine ?

Sous couvert de liberté religieuse, faut-il permettre aux parents de faire supprimer les peaux (sans toucher au clitoris) jugées, à l’instar du prépuce masculin, « inutiles » ?

Ce débat intervient alors que se développent les interventions chirurgicales consistant par exemple à supprimer les petites lèvres et le capuchon du clitoris, pour des raisons d’esthétique, d’hygiène ou d’augmentation de la stimulation sexuelle.

En 2010, le comité bioéthique de l’American Academy of Pediatrics propose donc de permettre aux pédiatres d’effectuer une « piqûre rituelle » sur les nourrissons de sexe féminin, estimant que « dans certains pays ou l’excision est répandue, certains progrès vers l’éradication ou l’amélioration ont été faits en substituant les formes les plus sévères par un “pseudo” rituel ».

Le tollé est immédiat, et l’académie américaine ne tarde pas à renoncer à ses ambitions et à réaffirmer son opposition à toute forme de mutilation génitale féminine.

Le débat a aussi lieu en Europe : les députés allemands doivent voter à la rentrée une loi qui devrait rétablir le droit à la circoncision religieuse, tant qu’elle n’engendre pas de « souffrances inutiles », ce qui pourrait ouvrir la voie à d’autres modifications corporelles, comme des scarifications légères.

Circoncire pour prévenir la masturbation

Le débat sur la légalisation d’une forme dite « légère » d’excision a surgi dans le contexte anglo-saxon, où la circoncision sans motif religieux est ou était massivement pratiquée, devenant une norme sociale à laquelle il est difficile de se soustraire.

La circoncision de routine s’est en effet développée dans le monde anglo-saxon, dans le contexte du puritanisme victorien de la fin du XIXe siècle. Reflétant les croyances médicales de l’époque, la circoncision était sensée prévenir toute sorte de « maladies » : l’hystérie, l’épilepsie, et surtout la masturbation, alors considérée comme un fléau.

La pratique de l’ablation du prépuce s’est développée jusqu’à devenir systématique aux États-Unis, au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande et dans une moindre mesure au Royaume-Uni.

A partir de la fin des années 70, les sociétés médicales de ces différents pays cherchent à freiner cette pratique qui connaît alors un massif déclin, pour devenir aujourd’hui minoritaire.

Une pratique restée courante aux États-Unis

Il existe cependant un pays où la circoncision systématique ne connut pas jusqu’à récemment de déclin : les États-Unis. Au pays de l’oncle Sam, les nouveaux-nés garçons continuaient, sauf opposition en amont des parents, à être systématiquement circoncis.

Mais la poursuite de cette pratique a engendré ces dix dernières années une vaste controverse quant au droit des garçons à disposer de leur propre corps.

A travers le pays, et plus particulièrement dans les fiefs progressistes tel que San Francisco, les militants anti-circoncision (qui se surnomment « intactivists ») organisent débats et manifestations afin de sensibiliser le grand public aux « méfaits » de l’ablation du prépuce, qualifié de « mutilation ».

En 2011, les « intactivists » ont même tentés à San Francisco d’organiser un référendum pour interdire la pratique de la circoncision sans raison médicale. Le débat s’étend également aux communautés juives progressistes, où apparaît un mouvement qui propose de remplacer la circoncision juive (la « brit milah ») par une cérémonie sans ablation du prépuce, nommée « brit shalom ».

Ces différentes actions ont entraîné un vaste débat à travers le pays, qui a engendré une baisse du taux de circoncision. Durant les Trente Glorieuses, 80% à 90% de nourrissons américains étaient circoncis ; en 2010, le New York Times rapportait un taux de circoncision à 32.5% pour l’année 2009.

Outre-Atlantique, le prépuce n’est plus aujourd’hui un « grand inconnu », le magazine de culture urbaine américain Vibe n’hésitant pas à parler de « révolution du prépuce ».

Reste que ce déclin n’est pas au goût d’une grande partie de la communauté médicale américaine qui reste depuis l’ère victorienne persuadée des bienfaits de la circoncision de routine.

La quête de justifications médicales

Juifs et musulmans pratiquent la circoncision pour des raisons rituelles, et n’ont jamais cherché à justifier médicalement cette pratique. A l’inverse, il semble que les Américains n’assument pas, au sein du monde occidental, leur spécificité culturelle de la pratique massive de la circoncision.

De nombreux scientifiques cherchent de ce fait obstinément à justifier médicalement cette pratique afin de la rendre (le terme revient constamment) « raisonnable ».

Dans le contexte spécifique des régions d’Afrique subsaharienne où l’épidémie du sida est généralisée, la circoncision de peuples entiers (nouveaux-nés, enfants et adultes compris), principalement financée par des fonds américains, semble avoir un intérêt selon l’OMS et l’Onusida, afin de freiner la propagation de l’épidémie.

Mais ces recommandations des instances internationales sont critiquées : alors que seul le préservatif protège totalement du sida, est-il « raisonnable » de promouvoir la circoncision qui offre, selon la méta-analyse Cochrane, une protection de 38% et 66% sur deux ans uniquement pour l’homme et dont les effets à long terme reste inconnus ?

N’y a-t-il pas un risque d’abandon du préservatif ? Est-il « raisonnable » en outre de procéder à des circoncisions massives d’enfants et de nourrissons alors que ceux-ci ne sont pas concernés par le risque de contamination par voies sexuelles ?

De l’Afrique à l’Amérique sans précaution

Toutes ces questions suscitent, comme souvent quand il s’agit du destin de l’Afrique noire, que quelques timides débats, tel ce rapport de 2007 du Conseil national du sida, qui souligne entres autres les problèmes liés à l’éthique mais qui ne connut qu’un très faible écho médiatique.

Dans son rapport, le Conseil rappelle d’ailleurs que les recommandations de l’OMS et de l’Onusida de généralisation de la circoncision ne s’adressent qu’aux pays d’Afrique où le sida est généralisé, et où peu d’hommes sont circoncis.

En 2010, le Royal Australasian College of Physcians et la Royal Dutch Medical Association faisaient le même constat et rappelaient les risques de l’opération et les problèmes liés à l’éthique.

Même Bertran Auvert, l’un des seuls scientifiques européens à contribuer au grand dessein de la circoncision de tout le continent africain, a rappelé en dans un entretien au Soir en 2011 que ces mesures ne concernent clairement que l’Afrique.

Il n’empêche, l’American Academy of Pediatrics s’apprête à recommander la circoncisiondes nouveau-nés américains, extrapolant de ce fait des études effectuées sur des hommes adultes en Afrique aux nourrissons mâles de la première puissance mondiale.

Pourtant, malgré une population masculine déjà très majoritairement circoncise, les États-Unis ont une prévalence du sida plus forte qu’au Japon ou qu’en Finlande, où personne n’est circoncis. Cherchez l’erreur.

Le business de la circoncision néonatale

Dans les différents médias, les membres du Comité se gardent bien de souligner les problèmes d’éthique et mettent en avant les chiffres. Encore et toujours les mêmes chiffres, ceux qui sont fournis par la trentaine de scientifiques qui consacrent leur carrière à la promotion de la circoncision partout dans le monde.

Parmi les influents d’entre eux (à l’instar de Catherine Hankins, conseillère en chef à l’Onusida) ont publié en début d’année une tribune soutenant « l’élaboration de politiques sur la circoncision masculine médicale pour la prévention du VIH dans tous les pays dans le monde entier ».

Aux arguments des militants anti-circoncision concernant l’éthique, ces scientifiques opposent leurs chiffres. De ce fait, ils ne font que s’autociter dans les références.

La circoncision de routine qui, il semble nécessaire de le rappeler, est une opération chirurgicale consistant en l’ablation systématique de tissus sains (le prépuce) de tout nouveau-né mâle, y est présentée comme étant un vaccin. Reviens, Pasteur, ils sont devenus fous !

La circoncision contre… le cancer

Et voyant que la promotion de la circoncision comme moyen de prévenir du sida n’a que peu d’impact en dehors de l’Afrique, un nouvelle approche est proposée : la circoncision comme moyen de lutter contre des nombreux cancers.

Déjà, en début d’année, une étude américaine montrait que la circoncision est bénéfique contre le cancer de la prostate.

Brian J. Morris, un scientifique australien qui soutient corps et âme la circoncision systématique de tous les nouveaux-nés (il a participé à la tribune mentionnée en infra et publié en 2011 une tribune avec Bertran Auvert) avance, sur son site internet militant, que la circoncision des nouveau-nés pourrait prévenir le cancer du sein de leur(s) future(s) partenaire(s).

Il avance également les préférences féminines, l’esthétique mais également le fait que les non-circoncis ont du mal à pisser droit et qu’ils courent le grand risque de se coincer le prépuce dans leur braguette. De la grande science.

Un acharnement contre le prépuce

Pourquoi un tel acharnement à l’encontre du prépuce ? Pour des raisons idéologiques d’abord. Pour les mêmes raisons qui poussent depuis l’ère victorienne toute une partie de la communauté médicale anglo-saxonne à littéralement détester le prépuce. Ensuite, au royaume du capitalisme, il y a bien évidemment le juteux business de la circoncision néo-natale.

Celui-ci concerne non seulement les médecins qui pratiquent les circoncisions à la chaîne, mais aussi les fournisseurs de matériels nécessaires à la circoncision des nourrissons, à l’instar du « circumstraint » qui permet de sangler le bébé afin qu’il ne bouge pas pendant l’opération, ou des différentes pinces et autres tire-bouchons arracheurs de prépuce, tous listés sur ce site de militants pro-circoncisions.

Un nouveau « tire-bouchons » arracheur de prépuce, qui ne nécessite plus l’intervention d’un médecin, vient d’ailleurs d’être mis au point spécifiquement pour l’Afrique. Parions que son inventeur devrait faire fortune…

Enfin, dans ce business, il reste le vaste et flou marché des prépuces aux États-Unis, réutilisés tant dans la recherche médicale que dans l’industrie cosmétique.

Un impact encore incertain

Aux États-Unis, l’impact du soutien de l’American Academy of Pediatric envers la circoncision néonatale devrait sûrement faire remonter quelque peu le taux de circoncision, sans pour autant qu’on en revienne aux taux mirobolants enregistrés pendant les Trente Glorieuses : après de nombreux procès, il est désormais impossible de circoncire un nourrisson sans avoir pris la peine de demander l’avis des parents.

Espérons qu’en Europe ces recommandations inciteront les chercheurs (particulièrement en sciences sociales) à s’intéresser de plus près à cette vaste entreprise de circoncision de tous les peuples d’Afrique.

Dans une récente chronique, Gilles Pialoux s’étonnait des taux de satisfaction des hommes nouvellement circoncis, qui ressemblent « aux résultats d’élections soviétiques », tout en soulignant que la controverse sur la circoncision dépasse le simple cadre médical.

Il serait temps de s’intéresser au sort des petits garçons africains qui ont autant droit que les petits Occidentaux et que tous les gamins de ce monde, à la protection de leur intégrité physique.

Source : Rue89