La circoncision aux États-Unis : pourquoi ?

Cet article fait partie du dossier La circoncision dans le monde.

Sommaire :

  1. Historique
  2. De nos jours : pourquoi est-ce que ça continue ?
  3. La procédure
  4. Mouvement d’opposition : l’intactivisme
  5. Complément vidéo
  6. Notes et références

Historique

La circoncision s’est développée dans le monde anglo-saxon (aux États-Unis, au Canada anglophone, en Afrique du Sud, en Australie, en Nouvelle-Zélande et dans une moindre mesure au Royaume-Uni) à la fin du 19ème siècle pour des raisons hygiéniques et prophylactiques, mais également pour lutter contre la masturbation, qui était alors considérée comme une névrose. [1]

Il est intéressant de constater qu’à la même époque, certaines mutilations sexuelles féminines étaient également encouragées par certains scientifiques pour les mêmes raisons que la circoncision, c’est-à-dire lutter contre la masturbation et assurer une meilleure hygiène. [2] Dans les années 1960, aux États-Unis, des scientifiques encourageaient toujours l’ablation du clitoris pour des motifs hygiénistes et puritains. [3]

Un exemple frappant est celui du Docteur Kellogg, inventeur des célèbres corn flakes, qui écrivait en 1888 :

Un remède [contre la masturbation] presque toujours efficace chez les jeunes garçons est la circoncision, particulièrement lorsqu’il y a n’importe quel degré de phimosis. L’opération doit être faite par un chirurgien sans administrer d’anesthésique, car la douleur de courte durée qui accompagne l’opération aura un effet salutaire sur l’esprit, surtout si elle est associée à l’idée de punition (…). La douleur qui continue pendant plusieurs semaines interrompt la pratique [de la masturbation], et si elle n’était pas devenue trop solidement ancrée auparavant, elle peut être oubliée et non reprise.

Pour ce qui est des femmes, l’auteur a découvert que l’application de phénol pur sur le clitoris était un excellent moyen de maîtriser l’excitation anormale, et de prévenir la récidive de la pratique chez celles dont la détermination est devenue si affaiblie que le patient est incapable de se maîtriser. [4]

John Harvey Kellogg
John Harvey Kellogg (1852-1943) prônait entre autres la circoncision pour lutter contre la masturbation.

Mais ce n’est pas tout : de la fin du 19ème siècle jusqu’à la majeure partie du 20ème siècle, de nombreuses autres raisons farfelues ont été avancées par des médecins pour justifier la circoncision.

La pratique était prônée à tort comme étant un remède à toutes sortes de maladies et d’affections dont voici une liste non exhaustive : l’épilepsie, la paralysie médullaire, l’énurésie nocturne (incontinence), la paralysie de la vessie, les pieds bots, la déviation de la colonne vertébrale, l’éjaculation nocturne, la névralgie abdominale, les troubles de la vue, le strabisme, la cécité, la surdité, le mutisme, l’incontinence urinaire et fécale, la tuberculose, les maladies vénériennes, le cancer de la langue, l’anxiété, le cancer de la vessie, le cancer du côlon, la syphilis, etc. [5]

Comme le fait remarquer Aldeeb avec humour :

On doit garder à l’esprit que presque toutes les maladies, y compris la folie, la calvitie et la courbature du dos, ont été invoquées à un moment ou un autre comme pouvant être prévenues par la circoncision. La seule maladie qui n’a pas été mentionnée par les médecins est probablement le rhume des foins. Mais cela pourrait encore venir. [6]

Cet acharnement contre le prépuce a drastiquement fait augmenter le taux de circoncision infantile dans les pays anglo-saxons. Aux États-Unis, le taux de circoncision était quasi inexistant avant 1870 et a atteint 80 % en 1980. [7]

De nos jours : pourquoi est-ce que ça continue ?

La circoncision diminue depuis les années 1950 dans l’ensemble du monde anglo-saxons où elle devient progressivement minoritaire [8-13], à l’exception des États-Unis où elle est en baisse constante depuis les années 1980 mais encore légèrement majoritaire avec un taux de circoncision infantile de 55 % environ. [14]

Une fois que la circoncision fut généralisée et banalisée, la première raison qui a motivé la poursuite de cette pratique était et reste encore aujourd’hui la cohésion sociale, c’est-à-dire se conformer à la norme. [15]

Néanmoins, il existe encore de nos jours des arguments fallacieux invoqués par les partisans de la circoncision pour justifier la pratique : des raisons hygiéniques, la prévention des infections urinaires et du cancer du pénis, et le dernier en date : la circoncision pour prévenir de l’infection au VIH.

Le réalisateur Ungar-Sargon résume bien ce problème :

Aux États-Unis, chaque génération semble trouver une nouvelle justification médicale pour la circoncision. Si vous regardez le début du 20ème siècle, la maladie la plus effrayante de l’époque était la syphilis : la circoncision était promue comme étant un remède à la syphilis. Quand nous avons trouvé un vaccin pour la syphilis, c’est passé à la question de l’hygiène, et c’était surtout dans les années 30 et 40 que c’était pour ça qu’elle était promue. Puis ça s’est déplacé à la prévention du cancer, différents types de prévention du cancer, puis c’est devenu les infections urinaires dans les années 80 et 90 et maintenant bien sûr c’est le VIH et vous lisez ça partout. Je pense que, d’un point de vue anthropologique, c’est fascinant de voir à quel point cette pratique a été tenace : c’est presque comme un remède à la recherche d’une maladie.  [16]

De même que le Docteur Denniston :

L’épidémie iatrogénique de la circoncision est soutenue par l’invention et la prolifération de prétendues raisons médicales. Ces excuses vont de la prévention de la masturbation, de l’épilepsie, de l’hystérie, de l’alcoolisme et du pipi au lit jusqu’à la prévention du cancer et de la mort. Dans l’histoire de la médecine, il n’y a jamais eu autant de données non fondées produites pour protéger une pratique médicale nuisible. Chaque fois qu’une raison médicale est désapprouvée scientifiquement, de nouvelles raisons sont vite inventées. La vérité est que ces prétendues raisons médicales sont des raisons invalides visant à soumettre des bébés à une chirurgie invasive du pénis. La tentative d’user de la science pour justifier la pratique de la circoncision est un abus. Il n’existe pas d’indications scientifiques ou médicales pour valider la pratique de la circoncision routinière.  [17]

La procédure

Aux États-Unis, l’enfant est généralement circoncis le premier jour ou les jours suivants la naissance, dans l’hôpital où il est né, avant que la mère ne quitte la maternité.

Les opposants signalent que les médecins demandent aux parents s’ils veulent la circoncision de leur fils ou non. Les parents déduisent de cette demande que l’opération devrait être utile puisque les médecins la proposent. Les médecins à leur tour prétextent qu’ils font la circoncision parce que les parents la leur demandent. Nous nous trouvons ainsi dans un cercle vicieux. En raison de leur ignorance, les parents comptent dans leur décision sur les médecins, et ceux-ci pour opérer comptent sur celle des parents. Et si les parents donnent cette décision librement, ils restent sous l’influence des médecins qui les contrôlent et parfois même conseillent l’opération. Même lorsque les médecins prennent une position neutre, ceci n’est pas en mesure d’aider les parents à prendre une décision appropriée. D’autre part, le fait que l’hôpital procède à des circoncisions et offre un tel service peut induire les parents dans l’erreur en pensant que cette opération est conseillée. Une étude démontre que le taux de circoncision est de 20% lorsque le médecin est un opposant, et de 100% lorsqu’il est en faveur de cette opération. – Sami Aldeeb [18]

Dans son exposé sur la circoncision des enfants aux États-Unis, Ryan McAllister explique de quelle manière on propose la circoncision aux parents (à 18:28) :

Le bébé est attaché à un objet spécialement créé pour qu’il ne puisse se débattre lors de la procédure : le circumstraint, créé en 1956.

Bébé attaché sur circumstraint pour être circoncis
Un bébé attaché sur un circumstraint pour être circoncis.

Ensuite, différents outils sont utilisés pour pratiquer l’ablation du prépuce, les plus populaires étant la pince Gomco, la pince Mogen et le Plastibell.

Pince ou clamp Gomco
Le clamp Gomco a été inventé en 1934 par la Goldstein Medical Company.
Pince Mogen pour circoncision
Le clamp Mogen, inventé par Rabbi Harvey Bronstein en 1954.
Outil de circoncision Plastibell
Le Plastibell a été créé en 1950 par Hollister Inc.

Cette vidéo montre des circoncisions de nouveau-nés avec la pince Gomco puis le Plastibell :

Mouvement d’opposition : l’intactivisme

Il existe un fort mouvement d’opposition à la circoncision infantile appelé mouvement intactiviste, de l’anglais intactivist (intact + activism).

Né dans la seconde partie du XXème siècle aux États-Unis, ce mouvement n’a depuis cessé de prendre de l’ampleur et de s’étendre au monde entier.

Voici quelques unes des associations anticirconcision américaines les plus importantes :

L’idée de tous ces groupes est simple : ils demandent à ce que les garçons comme les filles soient protégés des mutilations sexuelles.

Aux États-Unis les mutilations sexuelles féminines sont devenues illégales en 1997 : il est ainsi interdit de faire ne serait-ce qu’une simple piqûre rituelle sur le sexe d’une fillette.

Mais les garçons ne sont toujours pas protégés, et c’est pour dénoncer cette loi sexiste et demander l’égalité des droits que les intactivistes manifestent chaque année devant le Capitole des États-Unis, comme l’expliquait David Wilson lors de la manifestation de 2013, soit la 20ème en date :

Cliquez ici pour accéder à plus de vidéos

Les intactivistes américains manifestent contre la circoncision à Washington, D.C.
Des intactivistes américains manifestent à Washington, D.C..

Complément vidéo

Dans cette conférence de 2023, le Pr Roland Tomb explique pourquoi la circoncision s’est répandue dans les pays anglo-saxons (à partir de 30:26) :

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Notes et références

1. P.C Remondino, History Of Circumcision, 1891, p. 65–69.

2. Paige KE, The Ritual of Circumcision, Human Nature, mai 1978, p. 40–48.

3. Female Circumcision: Indications and a New Technique.

4. Kellogg, J.H. (1888). Treatment for Self-Abuse and Its Effects. Plain Facts for Old and Young. Ayer Publishing. pp. 295–296. ISBN 0-405-05808-X, 9780405058080.

5. Internal Coalition for Genital Integrity.

6. Aldeeb Abu-Sahlieh, Sami A.: Circoncision masculine – circoncision féminine: débat religieux, médical, social et juridique, p. 265.

7. Wallerstein: Circumcision: an american health fallacy, p. 217.

8. Le Royal Australasian College of Physicians indique que « In Australia, circumcision peaked at 85% prevalence in the 1950s and has declined since to between 10 and 20%. » et que « In Australia and New Zealand, thecircumcision rate has fallen in recent years and it is estimated that currently 10-20% of newborn male infants are circumcised. » « Circumcision Of Infant Males« , septembre 2010.

9. Richters J, Smith AMA, de Visser RO et al. Circumcision in Australia: prevalence and effects on sexual health. Int J STD AIDS 2006;17:547–54.

10. Lawrenson RA (1991). Current practice of neonatal circumcision in the Waikato. N Z Med J. 104(911):184–5. PMID 1898442.

11. Data Tables — The Maternity Experiences Survey (MES) 2006–2007 Canadian Maternity Experiences Survey [archive], Public Health Agency of Canada.

12. Dave SS, Johnson AM, Fenton KA et al. Male circumcision in Britain: findings from a national probability sample survey. Sex Trans Infect. 2003;79:499-500.

13. « By the closing decades of the 20th century, it had generally fallen out of favour except in cases of medical or religious necessity. » in « circumcision », Encyclopædia Britannica Ultimate Reference Suite 2010.

14. Trends in In-Hospital Newborn Male Circumcision — United States, 1999–2010, Document du Centres pour le contrôle et la prévention des maladies, publié en 2009.

15. Circoncision masculine : contexte, critères et culture, document de ONUSIDA, publié le 26 février 2007.

16. Limmud Chicago 2010.

17. Denniston, George C.: Circumcision: an iatrogenic epidemic, dans: Denniston; Milos: Sexual mutilations a human tragedy, Plenum Press, New York et Londres, 1997, p. 104.

18. Aldeeb Abu-Sahlieh (voir note 6), p. 487.