La circoncision juive : une perspective alternative

Droit au Corps a réalisé la traduction d’un article remarquable paru en 1999 dans la revue scientifique d’urologie BJU International : Jewish circumcision: an alternative perspective.

Jenny Goodman, médecin, psychothérapeute et féministe juive, auteure de cet article, nous a fait l’honneur de soutenir publiquement notre collectif, qu’elle en soit remerciée.

Le British Journal of Urology International (BJUI) est la revue scientifique officielle de l’Association des Chirurgiens Urologues Britanniques et d’autres sociétés savantes urologiques en Irlande, Suisse, Australie, Nouvelle-Zélande, etc.

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Jenny Goodman

La circoncision juive : une perspective alternative
J. GOODMAN
BJU International (1999), 83, Suppl. 1, 22–27

Introduction

En tant que juive, je considérais la circoncision rituelle comme allant de soi. Il m’est arrivé d’observer la procédure à plusieurs reprises, lorsqu’un fils naissait dans ma famille ou chez des amis. Il est inhabituel pour une femme d’assister à la circoncision, mais j’étais une jeune étudiante en médecine, sans appréhension, curieuse et, finalement, horrifiée. Mon inquiétude à ce sujet est apparue progressivement, simplement au fil de mes observations.

Dans la première partie, j’examinerai les raisons de remettre en question la circoncision rituelle et comparerai certaines des conclusions physiologiques et cliniques à propos de cette procédure avec les croyances populaires juives sur sa nature et ses conséquences. Je décrirai l’effet de la procédure sur la mère aussi bien que sur l’enfant et discuterai des implications éthiques.

Dans la deuxième partie, je présenterai certains textes et traditions juives qui pourraient, de manière surprenante, aider à contester la pratique traditionnelle de la circoncision.

Dans la troisième partie, je décrirai les facteurs historiques et psychosociaux qui rendent si problématique la contestation de la circoncision juive, et qui conduisent parfois à des réactions négatives aux nouvelles informations à ce sujet. J’évoquerai également la question controversée de savoir si contester la circoncision juive est nécessairement antisémite.

Dans l’avant-dernière partie, j’examinerai le point de vue généralement admis selon lequel le peuple Juif pratique la circoncision en raison du commandement de Dieu envers Abraham (Genèse 17: 11-14). Je montrerai que, pour la plupart des juifs, la circoncision est davantage liée à un sentiment d’appartenance qu’à un commandement divin. Je défendrai ensuite l’idée que la circoncision n’est pas aussi essentielle à notre identité juive que la plupart d’entre nous l’avons toujours pensé.

Finalement, j’analyserai la possibilité d’une évolution culturelle, en donnant des exemples, internes ou externes à la communauté juive, de la manière dont, malgré les difficultés, les coutumes ont la possibilité de changer et y parviennent.

Les raisons de remettre en question la circoncision religieuse

Il y a plusieurs raisons de reconsidérer la pratique de la circoncision religieuse, notamment la douleur, le traumatisme et les complications associées à la procédure, l’absence de bénéfice médical, contrairement à ce que l’on pensait auparavant et, finalement, l’effet de la circoncision sur la mère de l’enfant.

Douleur et traumatisme

Les garçons juifs sont circoncis à l’âge de 8 jours, c’est-à-dire pendant la période néonatale ; aucun anesthésique n’est utilisé. Le niveau de douleur associé à l’opération, qu’il soit déterminé par les cris des bébés ou par des indices physiologiques objectifs tels que la fréquence cardiaque et les taux plasmatiques de cortisol, est sévère. Même en utilisant une injection de lidocaïne pour la circoncision néonatale, Stang et al. [1] ont montré des taux plasmatiques de cortisol de 331 nmol/L, alors que les taux normaux sont compris entre 28 et 138 nmol/L. De même, Benni et al. [2] ont mesuré des fréquences cardiaques de 180 bpm chez des bébés récemment circoncis, ces fréquences n’étant que légèrement réduites (jusqu’à 160) par l’usage d’anesthésiques. Le pédiatre Paul Fleiss, écrivant dans le journal Lancet, considère que ces taux de cortisol et ces fréquences cardiaques « évoquent une torture » [3].

D’autres chercheurs ont trouvé des réponses physiologiques comparables, indiquant un stress sévère pendant la circoncision, y compris des augmentations spectaculaires de la fréquence respiratoire et de la pression partielle d’oxygène transcutanée (niveau d’oxygénation de la peau), ainsi que du taux de cortisol plasmatique et de la fréquence cardiaque [4–6]. La circoncision est si douloureuse qu’elle est, selon Stang et al., « devenue un modèle pour l’analyse de la douleur et des réactions au stress chez le nouveau-né » [1].

Ces conclusions contrastent avec les croyances communément exprimées au sein de la communauté juive selon lesquelles « c’est seulement une petite entaille qui ne fait pas mal » et « c’est comme changer leur couche ou leur couper les ongles ». Même si la plupart des bébés hurlent, tremblent et deviennent blêmes, voire bleus, beaucoup de juifs décrivent une circoncision à laquelle ils ont assisté en disant « le bébé n’a pas crié du tout, il n’a même pas pleuré, il s’est juste endormi ». Cela pourrait signifier que le bébé n’a ressenti aucune douleur. Néanmoins, des études suggèrent qu’au contraire, ces bébés peuvent en réalité tomber dans un état léthargique et semi-comateux en réaction à un stress accablant [7–9].

Une autre croyance populaire, perpétuée même par les Mohalim (circonciseurs rituels) qui sont aussi médecins, est la suivante : « il n’y a pas de terminaisons nerveuses dans le prépuce, donc la circoncision ne peut pas être douloureuse ». Cependant, il a été clairement démontré que le prépuce est un organe sensoriel complexe et important, contenant de nombreuses terminaisons nerveuses, y compris les corpuscules spécialisés de Meissner, similaires à ceux présents au bout des doigts et sur les lèvres [10].

Lors de conversations sur la circoncision, de nombreux juifs affirment que la circoncision juive est moins traumatisante que la circoncision musulmane par exemple, précisément parce qu’elle est pratiquée à un âge aussi précoce. Le mythe sous-jacent, largement répandu jusqu’à récemment dans l’ensemble de la population, est que les nouveau-nés ne ressentent tout simplement pas la douleur. Mais la recherche médicale contredit ces croyances populaires erronées. Les nouveau-nés ne ressentent pas seulement la douleur, ils la ressentent plus intensément, plus longtemps et sur une plus grande surface du corps que les enfants plus âgés ou les adultes soumis au même stimulus. Fitzgerald et son équipe de l’University College de Londres ont clairement montré que le système nerveux d’un nouveau-né se différencie de celui d’un enfant plus âgé ou d’un adulte, anatomiquement et physiologiquement, de sorte que ce qui constitue un stimulus léger ou inoffensif pour un enfant plus âgé ou pour un adulte provoque effectivement une douleur chez le nouveau-né. De plus, les nouveau-nés ne disposent pas des mécanismes inhibiteurs ou « amortisseurs » qui existent dans le système nerveux mature, ils ne peuvent donc pas se protéger de l’expérience de la douleur comme ils pourraient le faire à un stade ultérieur [11].

L’étude du développement de l’anatomie du pénis suggère également que plus la circoncision est effectuée tôt, plus elle sera douloureuse. En période néonatale, seulement 4 % des enfants ont un prépuce rétractable. Par conséquent, pour 96 % des bébés juifs [Note de Droit au Corps : l’expression correcte est « bébés issus de juifs » et non « bébés juifs »], la circoncision implique la déchirure par la force de l’attachement du prépuce au gland, ainsi que la découpe de son lien au sillon balanopréputial. En revanche, à l’âge de 3 ans, 90 % des garçons ont un prépuce rétractable [Note de Droit au Corps : les données récentes montrent que l’âge moyen auquel le prépuce devient rétractable est situé entre 10 et 12 ans], ce qui signifie que ce traumatisme supplémentaire ne concernerait que 10 % d’entre eux [12].

Et, immédiatement après (et en contradiction avec) l’argument de « l’absence de douleur », on entend fréquemment l’affirmation suivante : « D’accord, peut-être que ça fait mal, mais ça ne dure qu’un instant, et ensuite ils oublient tout à la minute où cela se termine. Ils sont trop jeunes pour s’en souvenir ». En fait, la surface à vif du gland peut saigner et être douloureuse pendant plusieurs jours après la circoncision, de sorte que la douleur est loin d’être momentanée. De plus, il a été amplement démontré que les nouveau-nés gardent en mémoire l’événement, non pas sous la forme d’un souvenir conscient, mais au travers d’une restructuration permanente du système nerveux. Il en résulte une intensification de la réponse comportementale à des stimuli douloureux ultérieurs, comme si le système nerveux avait été « sensibilisé ». Ainsi, par exemple, Taddio et al. [13] ont constaté que les réponses à la douleur lors d’une vaccination étaient significativement plus élevées chez les garçons qui avaient été circoncis (plusieurs mois auparavant) que chez ceux qui ne l’avaient pas été. D’autres études montrent que la douleur ressentie dans la petite enfance peut perturber l’allaitement au sein, la relation mère-enfant [14] et les habitudes de sommeil [15].

En plus de la douleur, la circoncision est traumatisante car elle constitue une expérience d’impuissance absolue [16]. Non seulement l’enfant souffre, mais aucune de ses actions ne l’aide à éviter ou à réduire la douleur. Ses cris sont sans effet et il lui est impossible de s’échapper car il est maintenu ; il apprend qu’il est impuissant.

Complications

De nombreuses complications graves de la circoncision rituelle ont été rapportées [17] : hémorragie, infection, sténose du méat [18], amputation du pénis [19, 20], « pénis piégé » [21], rétention urinaire (fréquemment due aux pansements trop serrés) et insuffisance rénale (rarement) [22], infections urinaires [23], septicémie [24] et quatre cas d’insuffisance cardiaque aiguë [25]. Williams et Kapila [26] ont décrit une liste effroyable de catastrophes chirurgicales conduisant à des lésions sévères et permanentes du pénis.

J’ai entendu plusieurs femmes juives décrire comment leurs fils avaient été victimes d’une hémorragie sévère après leur circoncision, ayant nécessité une hospitalisation et une transfusion sanguine. Dans un cas, une femme juive orthodoxe, dont le fils unique avait failli mourir d’une hémorragie lors de sa circoncision, s’est sentie tellement traumatisée qu’elle a décidé de ne pas avoir d’autres enfants, même si elle en avait très envie. Elle disait : « Si j’avais un autre garçon, je ne pourrais pas supporter de le faire circoncire. Mais je ne pourrais pas supporter non plus de ne pas le faire circoncire ». Son fils est maintenant âgé de 16 ans et n’a pas de frère et sœur.

Même si les hémorragies, les infections et de rares accidents mortels peuvent être considérés comme des risques acceptables lors de chirurgies destinées à traiter des maladies et à sauver des vies, c’est-à-dire lorsque les bénéfices dépassent nettement les risques, ce sont des risques inacceptables pour une « chirurgie » dont l’objectif n’est pas la guérison du patient. À ma connaissance, ni la communauté juive ni la communauté musulmane en Grande-Bretagne ne disposent d’archives permettant d’évaluer l’ampleur statistique des complications des circoncisions réalisées par leurs praticiens.

Inexistence des bénéfices médicaux supposés

Selon la religion juive, la circoncision devrait être pratiquée uniquement pour des raisons religieuses et non en relation avec des bénéfices médicaux réels ou imaginaires. Néanmoins, lors de conversations avec des juifs laïcs ou non-orthodoxes, « l’hygiène » et la « médecine préventive » sont fréquemment invoquées pour justifier le maintien de la circoncision. La plupart des juifs semblent ignorer que les revendications relatives à la prévention du cancer du col utérin, du cancer du pénis, des infections urinaires, etc, ont été complètement discréditées [27], de même que les revendications relatives à la prévention de l’asthme, de l’épilepsie et de la « folie masturbatoire » qui les avaient précédées. De toute manière, la médecine préventive concerne normalement les choix qu’un adulte libre peut faire, en ce qui concerne son alimentation, son mode de vie, sa participation à des programmes de dépistage, etc. Il ne s’agit en général absolument pas de retirer des parties saines du corps des nourrissons.

Effets sur la mère

L’instinct le plus fort d’une jeune mère est de serrer dans ses bras, chérir et protéger son bébé. Dans le monde juif, ce désir naturel et vital entre en conflit immédiat et douloureux avec les exigences de la tradition. Lors de rassemblements de femmes juives au cours des dernières années, j’ai écouté des dizaines de mères et de grand-mères décrire comment elles se sont senties déchirées entre la loyauté envers leur enfant et la fidélité à leur tradition, à une époque qui aurait dû être une période de repos et de réjouissance. J’ai entendu des mères africaines et musulmanes décrire le même dilemme déchirant. Habituellement, la circoncision a lieu et la mère se sent impuissante, coupable et pleine de regrets, même plusieurs décennies plus tard. Beaucoup de mères disent avoir donné leur accord uniquement parce qu’on leur avait dit qu’il s’agissait d’une procédure mineure et indolore. Si elles avaient imaginé la quantité de sang versé et l’ampleur du traumatisme généré, elles n’auraient jamais accepté. Elles se sont senties trahies.

En droit juif, c’est le père, pas la mère, qui est chargé de circoncire le garçon. C’est un rite de création de lien entre hommes, conçu (inconsciemment) comme tous les rites de ce type dans le monde, pour séparer le bébé de sa mère et le revendiquer comme « l’un des hommes » de la tribu. C’est à Abraham, non à Sarah, qu’on a ordonné de circoncire. Ce sont les hommes juifs, non les femmes ou les enfants, qui ont posé la circoncision comme sacrée. Comme le signale Pollack [28], les femmes juives doivent maintenant redéfinir ce qui est sacré, et chaque mère sait dans son cœur qu’il n’y a rien de sacré à approcher un couteau des organes génitaux d’un enfant. Il n’y a rien de sacré à briser la confiance innée d’un enfant, à détruire son postulat de base selon lequel ses parents feront tout ce qui est en leur pouvoir pour le protéger de tout mal. Pollack en conclut que « la circoncision est fondamentale pour le patriarcat, mais elle n’est pas sacrée » [29].

Implications éthiques

Quiconque soumettrait un adulte à ce qui est autorisé à l’égard d’un bébé de 8 jours serait accusé de violences ayant entraîné une mutilation. Si les enfants et les bébés doivent être considérés comme des êtres humains à part entière, il est donc certainement contraire à l’éthique de les maintenir de force alors qu’une partie saine et fonctionnelle de leur corps est mutilée. Il ne suffit pas de dire que les bébés sont incapables, ou trop jeunes pour donner leur consentement. Leurs réactions, leurs cris et le simple fait qu’ils doivent être maîtrisés par la force sont leur meilleur et seul moyen d’indiquer qu’ils refusent vraiment de donner leur consentement.

Le judaïsme, comme toutes les traditions religieuses, comporte plusieurs niveaux de lecture et plusieurs composantes. Dans la partie suivante, je mettrai en évidence que, malgré l’injonction Biblique de circoncire, de nombreuses sources juives soutiennent que la circoncision des nourrissons est contraire à l’éthique et devrait donc être abandonnée.

Textes religieux qui encouragent une rénovation du judaïsme

Dans le judaïsme et dans l’islam, l’être humain est créé à l’image de Dieu et Dieu est considéré comme parfait. Interférer avec la création parfaite de Dieu pourrait donc être assimilé à une forme de blasphème. Dans le judaïsme, il existe une loi appelée « Shmirat Ha Guf » qui ordonne de protéger et préserver son corps. Les piercings, les tatouages et les amputations sont tous interdits pour cette raison. Par ailleurs, le concept talmudique de « Tsa’ar ba’alei chayyim » recommande la compassion pour toutes les créatures vivantes. Si une vraie compassion était appliquée aux bébés âgés de 8 jours, la circoncision deviendrait impossible.

Le commandement de circoncire, donné littéralement dans la Genèse, réapparaît dans les derniers livres du Deutéronome et d’Isaïe avec une signification métaphorique. Le prophète Isaïe exhorte ceux qui l’écoutent à « circoncire le prépuce de [leurs] cœurs », c’est-à-dire à faire fondre l’armure d’insensibilité protectrice avec laquelle chacun de nous protège son être le plus profond. Ceci est tout à fait pertinent à l’heure actuelle ; à mesure que nous « circoncisons le prépuce de notre cœur », nous devenons capables d’entendre les cris angoissés de nos bébés.

Le Shulchan Aruch, le Code de droit juif faisant autorité, déclare : « Il faut faire très attention de ne pas circoncire un enfant malade, l’accomplissement de tous les commandements étant suspendu s’il existe un danger pour la vie humaine. De plus, la circoncision peut être pratiquée ultérieurement, mais la vie d’un être humain ne peut jamais être restaurée » [30] (italiques ajoutés par l’auteure de cet article).

Le Talmud discute longuement l’impératif de « Pikuach Nefesh », l’obligation de sauver la vie humaine dans toutes les situations où elle est en danger, que ce danger soit immédiat ou seulement potentiel, comme dans le cas d’une condition qui n’est pas dangereuse à présent mais pourrait se détériorer soudainement [31]. Les rabbins justifient ce commandement d’après le Lévitique 19:16 : « Tu ne resteras pas inactif devant le sang de ton prochain ». Il est certainement possible de faire valoir que la circoncision d’un bébé de 8 jours constitue une situation risquant de se détériorer soudainement, ce qui arrive réellement dans certains cas.

Le Talmud ajoute à ce sujet (Hul. 10a) : « Il faut donner la priorité à la vie et à la santé par rapport à l’observance religieuse ». Il insiste, par exemple, sur le fait que même les lois du Shabbat doivent être enfreintes pour donner un traitement médical ou réconforter une personne malade ou une femme en post-partum (Yoma 85a). Ceci est souligné dans le Talmud en dépit du fait que l’observation du Shabbat est l’un des dix commandements ; la circoncision, de manière significative, n’en fait pas partie.

La loi juive est un processus en évolution qui a toujours pris en compte les nouveaux développements des sciences et de la compréhension humaine, et a toujours tenté de les intégrer. Compte tenu des connaissances actuelles au sujet des complications potentiellement fatales de la circoncision néonatale, cet argument interne au judaïsme plaide en faveur d’une adaptation de la loi juive, de sorte que la circoncision de bébés impuissants, sans leur consentement, devienne interdite et non exigée.

Le rabbin du Moyen-Age Maïmonide, considéré comme le plus grand sage juif de tous les temps, écrit de la circoncision : « … l’un de ses objectifs est de limiter les rapports sexuels et d’affaiblir l’organe… l’apport du prépuce à cet organe est évident… il ne fait aucun doute que la circoncision affaiblit l’excitation sexuelle et diminue parfois le plaisir naturel ; l’organe est nécessairement affaibli quand il perd du sang et qu’il est privé de sa protection dès l’origine » [32]. Maïmonide était à la fois médecin et rabbin. Ses paroles préfigurent la compréhension médicale actuelle des fonctions protectrices et sexuelles du prépuce. Bien qu’il ait été écrit en défense de la circoncision, ce texte pourrait être interprété très différemment aujourd’hui.

Difficulté à remettre en question la circoncision dans la communauté juive

Lorsqu’ils rencontrent les arguments exposés dans la première partie de cet article au sujet de la douleur, des traumatismes et des dangers de la circoncision, de nombreux juifs disent : « En effet, vous avez tout à fait raison. Je ne peux pas être en désaccord avec vous. Mais – et je sais que c’est complètement irrationnel – j’ai le sentiment que nous devons continuer cette pratique ». D’autres se mettent très en colère, rejetant les solides preuves médicales et une sincère compassion pour la souffrance comme s’il s’agissait d’attaques antisémites. Pour interpréter ces réponses et la formidable résistance (c’est-à-dire la peur qui se manifeste sous forme de rejet), toute personne contestant la circoncision juive, qu’elle appartienne ou non à la communauté, devra comprendre la signification psychologique de la circoncision pour les juifs. Cette compréhension nécessite une certaine connaissance de l’histoire juive.

Les persécuteurs des juifs ont toujours tenté d’interdire la circoncision. Le fait que la circoncision était fréquemment punie de mort prouve que leur motivation était l’extermination du peuple Juif et non une quelconque préoccupation humanitaire pour les enfants. En 168 avant notre ère, Antiochos IV, dit Épiphane, de Syrie ordonna à ses soldats d’exécuter des bébés juifs circoncis [Note de Droit au Corps : l’expression correcte est « bébés issus de juifs » et non « bébés juifs »] et leurs parents. En 135 EC, l’empereur romain Hadrien interdit l’enseignement religieux juif et l’observance du Shabbat, et fit de la circoncision un crime puni de mort. Les juifs ont défié ces lois. Des milliers d’entre eux ont été torturés et sont morts en martyrs en refusant d’abandonner ce symbole de leur foi. L’histoire s’est répétée pendant l’Inquisition espagnole, en URSS et dans l’Allemagne nazie. La circoncision est ainsi devenue un emblème non seulement de la foi, mais également de la loyauté, du courage et du combat pour la liberté contre une terrible oppression. Même dans les wagons à bestiaux qui les emmenaient à Auschwitz, les juifs ont circoncis leurs enfants. Ils faisaient ce qu’ils croyaient être juste, respectant leur identité et leur foi même au plus profond de l’enfer.

Tous les juifs, moi y compris, portons cette histoire dans notre mémoire collective, et toute remise en question de la circoncision l’évoque, consciemment ou inconsciemment. Même la critique la mieux intentionnée peut donc ressembler à une grave menace. La circoncision a été, pour reprendre les termes de Pollack, « intégrée à notre psychisme par de multiples générations de traumatismes » [28].

Outre les caractéristiques spécifiques à l’histoire juive, il existe une très puissante raison qui explique que la circoncision rituelle se poursuive, ce sont les mécanismes psychologiques communs à toutes les communautés pratiquant la circoncision ou des rites équivalents. L’habitude engendre de l’insensibilité et du déni. Les hommes assistant à une cérémonie de Brit Milah (Alliance de la circoncision ; les femmes en sont généralement absentes, par choix dans le monde juif réformé et par exclusion dans les milieux orthodoxes) sont tous eux-mêmes circoncis. Pour eux, c’est un état « normal ». Ils assistent à une « célébration », faisant entrer leur enfant dans l’Alliance. Ils n’entendent véritablement pas les cris de souffrance de l’enfant. Cette désensibilisation est un phénomène présent dans toutes les cultures. Il était apparent dans les maternités des années 1970 et 1980, où le regroupement dans des pépinières de nouveau-nés hurlants, isolés du contact humain dans des berceaux éloignés de leur mère, était approuvé avec des expressions telles que « voici des poumons en bonne santé ». C’était aussi « normal ». Pour le juif circoncis, il faut donc un courage et une clairvoyance énormes pour parvenir à dire : « J’ai été mutilé. Mes parents ont commis une erreur. Je ne transmettrai pas cette blessure à mon fils ».

La peur de l’accusation d’antisémitisme ne doit pas étouffer la contestation. Néanmoins, pour ceux qui décident de contester la circoncision juive de l’extérieur, il est nécessaire de connaître l’histoire décrite ci-dessus et de savoir que toute critique risque d’être mal interprétée. Il est également indispensable d’être absolument certain que leur message et leur motivation sont exempts de racisme. En particulier, critiquer une coutume ne doit pas dégénérer en attaque ou en diabolisation de ceux qui la pratiquent. Ce sont des personnes bienveillantes qui aiment leurs enfants, mais qui ont grandi avec un ensemble de règles différentes. La plupart des gens de toutes les ethnies et de toutes les religions continuent, la plupart du temps, à faire ce qu’ils ont toujours fait, sans se poser aucune question, et les juifs, les musulmans et les autres personnes qui pratiquent la circoncision ne font pas exception. Une façon d’éviter le racisme consiste à adopter une vision large et multiculturelle, à penser que nous avons tous quelque chose à apprendre les uns des autres. Je vais clarifier cette idée avec un exemple ; beaucoup de mères Africaines font génitalement mutiler leurs filles. Les occidentaux blancs trouvent cela révoltant et se demandent intérieurement si ces parents aiment vraiment leurs filles. Néanmoins, de nombreux parents occidentaux blancs laissent encore à présent leurs jeunes enfants sangloter tous les soirs, seuls, derrière une porte fermée, car il 19h30 passé et « qu’ils doivent apprendre à s’endormir à l’heure ». Toute mère Africaine serait horrifiée et se demanderait intérieurement si ces parents aiment vraiment leurs enfants. Elle nous dirait que les jeunes enfants ont besoin de contact humain, d’être portés et câlinés, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit ; elle nous dirait que nous aussi nous faisons quelque chose de mal.

L’antisémitisme est une forme de racisme particulièrement violente et son exclusion, lorsque l’on conteste la circoncision juive, doit relever d’une intention profonde, pas simplement d’une question de forme. Non seulement parce que le racisme est contre-productif lorsque l’on souhaite informer les gens de la réalité de la circoncision, mais surtout parce que le racisme est lui-même aussi cruel et aussi contraire à l’éthique que la circoncision de bébés sans défense. Je conteste la circoncision parce que c’est la forme particulière de violence envers les enfants qui se produit dans ma propre culture ; cependant, chaque culture a ses propres formes d’oppression qui ne doivent pas être ignorées.

Circoncision religieuse et identité juive

L’argument habituellement avancé pour défendre la circoncision juive est qu’elle est commandée par Dieu (Genèse 17: 11-14), elle doit donc être pratiquée sans hésitation. Cependant, à y regarder de plus près, cette affirmation (qui de toute façon ne constitue pas une argumentation rationnelle) n’est pas la véritable raison, excepté pour la minuscule minorité de juifs qui interprètent la Bible littéralement. Une étude montre que même parmi les femmes juives orthodoxes (celles qui fréquentent les synagogues orthodoxes), seules 32 % considèrent que croire en Dieu est essentiel pour être un « bon juif » [33], et cette valeur serait encore plus basse si cette étude incluait les hommes, car les femmes sont plus susceptibles que les hommes de croire en Dieu [33]. La majorité des juifs ne respecte pas la plupart des 613 commandements bibliques. Même les ultra-orthodoxes ne songeraient pas à appliquer l’ensemble du commandement de la circoncision, qui stipule en fait que les serviteurs et les invités non juifs doivent également être circoncis ! (Genèse 17:12).

L’incohérence est encore plus frappante lorsque l’on s’intéresse aux juifs appartenant aux courants Réformé ou Libéral du judaïsme, ainsi qu’aux juifs athées [Note de Droit au Corps : le raccourci utilisé par l’auteure désigne les athées se considérant de culture juive. Au plan laïc, il n’existe pas plus de juifs athées que de chrétiens ou de musulmans athées] et à ceux qui ne se reconnaissent dans aucun courant. Les mouvements réformistes et libéraux choisissent librement leurs commandements, modernisent la tradition et réinterprètent les textes bibliques de manière métaphorique, en accord avec les valeurs de la société contemporaine. Les juifs athées ou non-intéressés par la religion ont souvent abandonné tout contact avec la tradition. Pourtant, tous ces groupes pratiquent encore la circoncision, ce qui indique qu’ils se sentent psychologiquement aussi « contraints » que les orthodoxes les plus stricts. Ce qui les contraint n’est pas un commandement divin, mais la crainte de ne plus appartenir à la communauté ; il y a une angoisse réelle de « briser la chaîne ». Le poids de l’histoire et la pression culturelle résultante transmise par la famille sont des forces auxquelles il est très difficile de résister.

Pour toutes ces raisons, et celles discutées dans la partie précédente, la circoncision semble être inextricablement liée à l’identité juive, et les menaces pesant sur cette identité sont vécues comme des menaces pour la survie du peuple Juif lui-même. Pourtant, il y a des arguments qui montrent que l’identité juive est moins dépendante de la poursuite de la circoncision qu’il n’y paraît.

D’abord, quelle identité juive ? Seulement celle des hommes. Les femmes juives ont parfaitement conservé leur identité pendant 4000 ans, sans marque d’identité équivalente à la circoncision et sans cicatrice, et dire que « la circoncision est vitale pour l’identité juive » revient donc à exclure 52 % de la population juive. Deuxièmement, bien que les juifs aiment à considérer la circoncision comme un signe d’identification qui leur est spécifique, ce n’est clairement pas le cas. Elle est également pratiquée par des musulmans, des Africains non-musulmans, des Aborigènes d’Australie et une bonne partie de l’Amérique du Nord blanche (et de la Corée) et a été décrite dans des papyrus Égyptiens datant de 4000 ans avant J.-C. Troisièmement, bien que certains rabbins croient encore que la circoncision maintiendra les hommes juifs « dans le rang », la réalité est qu’elle n’a pas empêché de nombreux jeunes hommes juifs de quitter la foi. Enfin, selon la loi juive (Halacha), le fils d’une mère juive est de facto juif, qu’il soit circoncis ou non.

Conclusion : possibilités de changement culturel

Toutes les cultures évoluent et changent, et ce qui était indispensable à une époque devient inutile à la prochaine. Des générations de femmes Chinoises ont été estropiées par le bandage des pieds, une pratique considérée comme faisant partie intégrante du mode de vie chinois jusqu’aux années 1920, lorsque des militantes féministes ont réussi à y mettre fin et que « l’effondrement de la culture » qu’on prédisait ne s’est pas concrétisé. De même, les Sebei de l’Est de l’Ouganda ont récemment abandonné leur pratique, traditionnelle et profondément ancrée dans la société, des mutilations génitales féminines ; leur culture a également survécu.

Dans la communauté juive britannique, un nombre réduit mais croissant de jeunes parents refusent de circoncire leurs fils. Ils commencent à créer des rituels alternatifs non violents et des cérémonies douces pour accueillir les bébés des deux sexes dans la communauté juive et dans le monde. La plus grande crainte des parents juifs, à savoir que leur fils soit exclu de la communauté s’il n’est pas circoncis, s’avère être un argument circulaire et auto-perpétuant, qui n’est vrai que tant que tout le monde y croit. Alors que de plus en plus de parents ont le courage de dire « non », le garçon juif intact ne devient plus une exception, ni « l’intrus ». En fait, les garçons juifs non circoncis et leurs familles sont fermement restés au sein de la communauté juive. Le judaïsme offre de nombreuses coutumes joyeuses célébrant la perpétuation et la transmission de la vie, et je suis convaincue que notre abandon de la circoncision néonatale renforcera la culture juive au lieu de l’affaiblir.

J’ai montré dans cet article que la circoncision est douloureuse, traumatisante et potentiellement dangereuse, mais qu’en raison de notre passé, elle revêt une énorme signification symbolique dans l’inconscient collectif juif. Cependant, je considère que l’immensité de nos souffrances passées n’annule ni ne justifie de continuer à imposer cette souffrance à nos fils. Le Grand Rabbin Jonathan Sacks, interviewé par la BBC [34], a déclaré que la circoncision visait à « sanctifier la sexualité ». Interrogé sur le mécanisme à l’œuvre, il a répondu : « Il n’y a pas de lien de causalité, c’est symbolique ». Néanmoins, en dernière analyse, la circoncision n’est pas symbolique pour le bébé ; elle est horriblement réelle. Le moment est maintenant venu de laisser le couteau de côté et d’entrer dans le XXIe siècle avec un nouveau rituel, véritablement accueillant et réellement purement symbolique.

Références

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