Circoncision : un documentaire francophone vient enrichir le débat

La récente chaîne YouTube Le Barbiche, qui s’intéresse aux « masculinités », a consacré sa première vidéo à la circoncision. Une bande dessinée a également vu le jour. Compte tenu de leurs qualités, nous avons choisi de mettre en avant ces productions et de nous entretenir avec leur auteur.

Publié en septembre 2018, ce documentaire long d’une heure est remarquable à plus d’un titre : la couverture du sujet est exceptionnellement large, les analyses sont sérieusement argumentées et la rigueur du propos s’appuie sur une documentation fouillée. Du côté des moins, quelques imprécisions et fautes d’orthographe sont à signaler, et on peut regretter un son de faible qualité. Quoi qu’il en soit, ce documentaire devient sans nul doute la nouvelle référence en la matière dans la francophonie. À partager dans vos réseaux, sans modération !

Voir la vidéo directement sur YouTube

Et voici la bande dessinée qui donne un avant-goût de la vidéo. L’auteur a donné l’autorisation de l’imprimer librement ici, mais ne souhaite pas d’utilisation commerciale.

Planche 1/7 :

bande dessinee circoncision le barbiche

Planche 2/7 :

Planche 3/7 :

Planche 4/7 :

Planche 5/7 :

Planche 6/7 :

Planche 7/7 :

Enfin, voici notre entretien avec Le Barbiche :

Que pouvez-vous dire à nos lecteurs pour qu’ils vous connaissent mieux, pourquoi Parlons de masculinités ? Et d’abord, pourquoi Le Barbiche ?

Si j’ai envie de parler de masculinités, c’est tout simplement parce que c’est quelque chose de très peu abordé, y compris dans les sphères progressistes.

Il n’y a aujourd’hui que deux contenus audio francophones qui traitent ce sujet, ce sont The Boys Club et Les couilles sur la table. Et même si j’apprécie le contenu, ce sont des chaînes tenues par des femmes et non par des concernés. Si des hommes ne se sont pas emparés de ce sujet c’est pour une raison simple : les hommes n’ont pas eu le déclic de remettre en question la notion d’être « homme » dans nos sociétés. Les femmes l’ont fait, le font et le feront encore. En partie car c’était et c’est toujours une question de survie pour elles. Que ce soit pour le droit à disposer de leur corps, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles qu’elles subissent, les droits civiques, etc. Comme elles se sont questionnées sur la notion d’être « femme », par glissement elles ont été les premières à faire le rapprochement avec l’idée d’être « homme ». D’autant que les femmes subissent principalement des violences de la part des « hommes » plutôt que d’autres femmes. C’est la fameuse domination masculine.

Pourtant, les hommes aussi sont l’objet de tout un tas de stéréotypes auxquels ils doivent se plier : ces stéréotypes emprisonnent le fait d’être « homme » dans des cases spécifiques pouvant causer énormément de souffrances, que ce soit envers les femmes ou envers eux-mêmes. Moi dans tout ça, je souhaite aborder cette thématique de « masculinités » sur ma chaîne Youtube, notamment au travers des problèmes que ça cause aux hommes et aussi des privations que cela crée pour pouvoir être dans la norme sociale. C’est cette norme sociale qu’il faut briser. Si un homme demain veut mettre des jupes masculines, il doit pouvoir. S’il souhaite s’orienter vers des métiers demandant beaucoup de compassion et d’attentions, alors il doit pouvoir. S’il souhaite arrêter totalement de travailler pour s’occuper des enfants, il doit pouvoir, etc. Aujourd’hui, ça n’est socialement pas possible sans subir des commentaires négatifs voire être mal considéré par les gens. Il faut que ça change.

Concernant le nom de la chaîne, qui est par la même occasion mon pseudonyme, il vient tout simplement de ma pilosité faciale, ne poussant qu’à ce niveau. C’était un bon moyen de renvoyer le nom de la chaîne à une partie de mon identité. Quant à « Le Barbiche » et pas « La Barbiche », alors que barbiche est féminin, c’est pour plusieurs raisons. La première c’est qu’étant un homme, il était plus « normé » de prendre « Le », car avec « La » on se serait attendu à ce que ce soit une femme qui parle, ce qui n’est pas le cas. Le second point, c’est que ma chaîne parle de masculinités. J’avais besoin que dans son nom,  il y ait quand même un aspect masculin qui ressorte, en plus de ma propre identité. Troisième point, vu qu’en français dire « Le barbiche » est une faute, ça permet de justifier toutes les coquilles que j’ai pu parsemer dans ma vidéo !

Quand et comment vous est venue l’idée de faire un documentaire sur la circoncision ? Qu’est-ce qui vous a motivé ?

Quand ? Vers février 2018 quand je me suis dit qu’il fallait que j’aborde les sujets autour du concept de masculinité. J’ai choisi la circoncision car c’est un sujet absent des études de genre. Alors que ça devrait être un enjeu central au vu des souffrances qu’elle engendre, ainsi que des problématiques qui y sont liées. Je me suis dit que c’était le sujet idéal à aborder, car s’il y avait bien un truc qui est moins traité que les autres quand on parle de masculinités, c’est bien celui-là. S’il ne devait y avoir qu’une seule vidéo que je puisse faire, il fallait que ce soit celle-ci.

Combien de temps avez-vous investi dans ce projet ? Quels faits marquants pendant la réalisation ?

À peu près 6 mois. Quant aux faits marquants, il y en a beaucoup. Au début je comptais faire une vidéo de maximum 10 minutes. Sauf que je me suis vite rendu compte que le sujet était extrêmement vaste et qu’il était impossible de le résumer en 10 minutes. Pour éviter que des personnes essayent de me contredire avec des arguments du genre « ahah, tu n’as pas abordé ce sujet là, car tu sais que la circoncision y est bénéfique ! Et qu’il vaut mieux continuer à circoncire les enfants ! » En France, contrairement aux États-Unis, la circoncision n’est pas un sujet sérieusement traité dans les médias : si je ne le faisais pas, qui le ferait ? Probablement quelqu’un d’autre en réalité. Mais peut-être seulement dans 5 ou 10 ans. Sauf que le problème ne peut attendre. Plus tôt on le prendra en mains, plus tôt il y aura d’autres personnes pour s’y intéresser. Avec davantage de documentaires et de prises de positions.

Un autre fait marquant a été le nombre d’études qui abordent le sujet des troubles de stress post-traumatique (TSPT) et toute la documentation qu’il y a dessus. Ainsi que les témoignages de souffrances liées à la circoncision. Ça a été globalement une des parties les plus dures à travailler. Au début je ne me rendais pas compte que tant de personnes souffraient, ni de l’amplitude de ces souffrances : j’ai dû passer des jours et des jours à lire des études et des témoignages pour en prendre vraiment conscience. Une telle dose de négativité, pendant plusieurs jours, m’a obligé à arrêter pendant deux semaines : j’avais besoin d’un break. J’ai eu du mal à m’y remettre ensuite car j’abordais le volet des complications physiologiques, comme les nécroses du gland… Pas forcément le sujet le plus joyeux pour s’y remettre !

Pouvez-vous résumer en quelques phrases les messages forts de cette vidéo ?

– Le prépuce n’est pas un vulgaire « petit bout de peau ».
– Le prépuce a de nombreuses fonctions dans la sexualité, que ce soit grâce à ses capacités sensorielles, ses capacités de lubrification, le mécanisme de coulissage pour éviter les frictions, etc.
– La circoncision entraîne des complications physiologiques et psychologiques pouvant être très graves.
– Le prépuce possède des capacités protectrices et hygiéniques importantes.
– Il existe des solutions largement plus efficaces qu’une circoncision en ce qui concerne d’éventuels problèmes de santé : l’amputer pour rien est une violence médicale.
– La circoncision est très ancrée depuis longtemps dans de nombreuses cultures : pour en venir à bout, il faudra trouver des solutions qui évitent la stigmatisations des peuples et des individus.
– La circoncision est une mutilation sexuelle.

Y a-t-il des points que vous auriez aimé détailler davantage si vous aviez eu plus d’une heure ?

Oui, mais surtout y a plein de points que je n’ai pas abordés et que j’aimerais traiter à l’avenir. Par exemple, les fonctions du gland dans la sexualité, la place du prépuce dans les chirurgies de réassignation sexuelle, ou encore les aspects juridiques de la circoncision.

Avez-vous des recommandations à faire à notre collectif ?

Davantage de présence sur les réseaux sociaux, notamment Twitter qui est un réseau très militant dont il faut maîtriser les mécanismes et les utiliser pour sensibiliser les gens. Ça serait déjà un bon début.

Peut-être aussi, à l’avenir, développer un curious cat. C’est une application qui peut à la fois être liée à Twitter et à Facebook et permet à des personnes d’envoyer des questions en anonyme. J’ai personnellement reçu des questions en rapport avec la circoncision depuis que j’en ai ouvert un, question que les gens n’osaient pas me poser. On est arrivé à une époque où, malgré le fait qu’on ait déjà une identité anonyme sur les réseaux avec le pseudonyme, les gens ont besoin de savoir qu’on ne sait pas qui ils sont. En somme, cette double identité – le pseudonyme – ne suffit même plus à présent et les gens ont besoin d’un espace où l’anonymat est total, tellement le virtuel a pris de l’ampleur. C’est ce que permet Curious Cat. J’ai eu des questions d’hommes et de femmes sur la circoncision, y compris de personnes en souffrance en lien avec la circoncision (traumatisme dû à la circoncision, chantage à la circoncision, etc). Mais ça représenterait probablement une grosse charge de travail pour une association comme la votre.

Pouvez-vous nous dévoiler le sujet de vos prochaines vidéos ?

Au début je comptais sortir « Parlons de masculinités 1.5 : la circoncision, suite », sur d’autres sujets évoqués au cours de cet entretien. Mais pour le moment j’ai un peu envie de tourner la page, depuis quelques semaines. Passer à autre chose quitte à y revenir plus tard. Ma prochaine vidéo s’intitulera « Parlons de masculinités 2 : La prostate ». Je souhaite aborder ce sujet principalement sous l’angle sexuel, angle peu abordé malheureusement. On entend souvent parler négativement de la prostate quand les hommes atteignent la cinquantaine, mais pas de ce qu’elle peut apporter sexuellement. Pourtant les stimulations prostatiques peuvent conduire à des orgasmes très différents des orgasmes éjaculatoires obtenus par stimulation du pénis. Et on a la possibilité de combiner orgasme éjaculatoire + orgasme prostatique, revisitant ainsi la vision de l’orgasme chez l’« homme ». Quant aux sujets suivants, je ne sais pas encore. Pour la prostate c’était déjà un vote entre deux sujets que j’ai proposé sur les réseaux sociaux. Je ferais probablement un vote pour le sujet numéro 3 parmi une liste préétablie.

Avez-vous envie d’ajouter autre chose ?

Interrogeons-nous sur la façon dont, en tant qu’homme ou que femme, la société nous façonne en prétendant que ses structures sociales sont de l’ordre du « naturel » alors que c’est tout le contraire. Prenons le temps de questionner la pertinence des stéréotypes qui nous construisent et sont finalement plus destructeurs qu’autre chose. Tant qu’on éduquera les enfants en leur assignant un rôle, un genre, on réduira leur capacité à évoluer vers ce qu’iels souhaitent être. Tant que l’on mettra ces entraves aux individus en leur disant de ne surtout pas les briser, on ne pourra ni oeuvrer à leur liberté, ni à leur égalité. La circoncision masculine joue un rôle central dans la construction des genres, dans les sociétés qui la pratiquent, et cela n’a quasiment jamais été étudié.

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