En Israël, certains s’insurgent contre la circoncision

Par Maayan Lubell
Jérusalem, Mercredi 28 Novembre 2012

La circoncision est l’une des lois les plus importantes du Judaïsme, et pour des générations de fidèles elle est le symbole d’un engagement biblique envers Dieu.

Mais en Israël, de plus en plus de parents juifs disent non à la lame.

« C’est un tabou énorme en Israël et dans le judaïsme, » affirme Gali en berçant son fils de 6 semaines, au sujet de la décision de ne pas le faire circoncire.

« C’est comme faire un coming-out, » dit-elle, en demandant de n’être identifiée que par son seul prénom, parce qu’elle n’en a pas encore parlé à ses proches.

Quasiment tous les bébés de sexe masculin sont circoncis en Israël. Que leurs parents soient des Juifs ultra-orthodoxes ou laïques, c’est de loin le choix le plus courant. La plupart des arabes israéliens perpétuent aussi cette pratique très répandue dans le monde musulman.

Les circoncisions juives sont effectuées au huitième jour du bébé. La majorité sont réalisées par un mohel, un religieux formé à cette procédure menée à bien au cours d’une cérémonie religieuse festive appelée un « brit », le mot hébreu pour « contrat ».

Mais une minorité de plus en plus importante craint que ce soit une forme de violence physique.

« C’est comme si quelqu’un me disait ‘c’est dans notre culture de lui sectionner un doigt après la naissance’, » confie Rakefet Kaufman, qui elle non plus n’a pas fait circoncire son fils.

« Les gens devraient voir ça comme un abus de pouvoir, parce que c’est fait à un bébé sans lui demander son avis, » dit-elle.

Lorsque Gali a appris qu’elle était enceinte d’un garçon, il était évident pour elle qu’il serait circoncis. Mais elle a commencé à y réfléchir à deux fois après avoir eu une conversation avec un ami dont le fils n’avait pas été circoncis.

« Elle m’a demandé quelle était ma raison de le faire, si c’était religieux. J’ai dit que non. Était-ce pour des raisons de santé ? Non. Sociales ? Non. Alors l’idée a commencé à faire son chemin. J’ai cherché à en savoir plus à ce sujet, à lire des choses, à aller sur des forums internet, et je me suis rendue compte que je ne pouvais pas faire ça. »

Un phénomène qui prend de l’ampleur

« Ce phénomène prend de l’ampleur, ça ne fait aucun doute pour moi, » affirme Ronit Tamir, fondatrice d’un groupe de soutient aux familles ayant choisi de ne pas circoncire leurs fils.

« Lorsque nous avons lancé le groupe il y a 12 ans, nous avons dû nous démener pour trouver 40 familles… Elles gardaient le secret sur le sujet, et nous avons dû leur promettre que nous le garderions aussi, » dit-elle. « Puis nous avons eu un ou deux coups de téléphone par mois. Maintenant, ce sont des douzaines d’e-mails et de coups de téléphone que j’ai chaque mois, des centaines par an. »

Tamir croit que les Juifs trouvent plus facile de briser les tabous religieux en Israël de nos jours.

« Les gens se demandent ce que cela signifie, être juif, à notre époque, » dit-elle, et cela en conduit certains à remettre en question des règles de toutes sortes, y compris la circoncision.

Ailleurs dans le monde, dans les sociétés qui circoncisent les garçons pour des motifs non-religieux, par habitude, tradition, ou pour les bénéfices perçus en termes de santé, la pratique est parfois controversée.

Les taux de circoncision en Europe sont bien en-dessous 20%, alors qu’aux États-Unis, selon les statistiques de 2010 citées par le CDC (Center for Disease Control – Centre de contrôle des maladies), plus de la moitié des nouveau-nés continuent à être circoncis.

L’Académie Américaine de Pédiatrie a déclaré en août que les bénéfices de la circoncision infantile pour la santé (potentiellement, éviter les infections, le cancer et les maladies sexuellement transmissibles) sont supérieurs aux risques, mais elle a conclu qu’il revenait aux parents de décider en dernier ressort.

Mais alors que pour beaucoup de familles autour du monde la décision est au final une question de choix personnel, c’est plus compliqué que cela pour les juifs remettant la tradition en question.

« C’est un contrat entre Dieu et nous – un signe qui ne peut pas être renié, et que les Juifs ont gardé même pendant les persécutions, » a déclaré un mohel bien connu réalisant des circoncisions en Israël depuis plus de 30 ans. Il a demandé à ne pas être nommé afin d’éviter toute controverse.

Il se réfère au Livre de la Genèse, dans lequel Dieu dit à Abraham : « Et vous circoncirez la chair de vos prépuces, et cela sera un signe du contrat entre moi et vous. »

C’est ce contrat, dit le mohel, qui « maintient le peuple d’Israël uni ».

Et la Bible continue : « Et l’enfant mâle non-circoncis, dont la chair du prépuce n’est pas circoncise, celui-là sera séparé de son peuple ; il a rompu mon contrat. »

Au fil du temps, les chercheurs ont émis des avis différents quant à ce que cela signifie en pratique.

Être différent

Tamir n’est pas déstabilisée par les écrits anciens.

« Ce décret est douloureux, irréversible et mutilant, » dit-elle. Internet a aidé à répandre le message, en permettant aux parents de se documenter sur la circoncision et demander conseil de façon anonyme.

Aux États-Unis, certains groupes juifs qui s’opposent à la circoncision proposent pour le brit des cérémonies alternatives sans réelle circoncision.

« Il y a sans l’ombre d’un doute un nombre croissant de familles juives aux USA qui choisissent de ne pas circoncire, » affirme Rebecca Wald, en Floride. Elle a lancé en 2010 un site internet pour les parents qui ne sont pas sûrs de savoir quoi faire.

« Depuis lors, par des appels téléphoniques, des e-mails, ainsi que par des réseaux sociaux sur internet, j’ai été en relation avec des centaines de Juifs aux USA qui remettent en question la circoncision. » dit-elle dans une interview par e-mail. « Beaucoup d’entre eux ont des fils intacts (non-circoncis) ou prévoient de laisser intacts leurs fils à l’avenir. »

Le fils de Mme Wald n’a pas été circoncis.

« J’ai un sens très aigu de mon identité juive et, croyez-le ou non, avoir un fils intact n’a fait que le renforcer, » affirme-t-elle.

En Israël, où la vaste majorité est circoncise, le dilemme peut s’avérer particulièrement ardu.

Bien qu’elle soit sûre du choix qu’elle et son mari ont fait, Gali a malgré tout une inquiétude.

« Le problème principal qui continue à me tracasser un peu c’est d’un point de vue social, la crainte qu’il vienne un jour me voir en disant ‘Maman, pourquoi tu m’as fait ça ? Ils se sont moqués de moi aujourd’hui’, » confie Gali.

Le Ministère de la Santé ne comptabilise pas les circoncisions, mais il en estime le chiffre à 60 000 ou 70 000 chaque année en Israël, ce qui correspond en gros au nombre de garçons nés en 2010, selon le bureau central des statistiques.

Le ministère affirme qu’il traite chaque année environ 70 cas de circoncisions s’étant mal passées, principalement de petites complications telles que des saignements excessifs.

Mme Kaufman avoue que « les gens ont été choqués » d’apprendre que son fils n’est pas circoncis.

« En Israël, tout le monde le fait, comme des moutons, » dit-elle. « Jamais ils ne prennent le temps de se poser des questions au sujet de cette pratique qui est nuisible pour le bébé. »

Tout en regardant son fils farfouiller dans une pile de jouets, Mme Kaufman affirme :

Il est né comme ça et c’est comme ça que son corps est censé être.

(Edité par Jeffrey Heller et Sonya Hepinstall)

Source : Reuters

Traduction française : Droit au Corps

Pour l’espace francophone, Droit au Corps a le plaisir de soutenir la démarche Brit Shalom, l’Alliance sans souffrance, apparue en 2016.