Circoncis vers l’âge d’un an dans un contexte culturel mixte franco-algérien, Thomas évoque aujourd’hui son expérience personnelle et les réflexions que cet acte a suscitées au fil des années. Membre de notre association, il souhaite que cette question soit davantage traitée, car elle représente pour lui un enjeu majeur de notre époque. Il a choisi de témoigner sous son vrai nom, à visage découvert.
Mon cheminement autour de la circoncision, écrit par Thomas Belkadi

Une décision culturelle avant tout
J’ai été circoncis entre un et deux ans. Mes parents, ma mère, française de tradition catholique et issue d’une famille ouvrière, ainsi que mon père, venu d’Algérie et musulman, ont fait ce choix pour moi. Mon père, lui-même circoncis, considérait cela comme une évidence pour ses enfants, un acte qui s’inscrivait dans une continuité culturelle plus que religieuse.
Ma circoncision a été pratiquée sous anesthésie, en France par un médecin juif, car selon mon père à cette époque, il était apparemment difficile de trouver en France des médecins musulmans pratiquant cette intervention. Contrairement à d’autres, qui ont eu des complications, je ne peux pas dire que j’ai beaucoup souffert physiquement. Ou alors, si cela a été le cas, je n’en garde pas vraiment le souvenir. En grandissant, je pensais que cette intervention était anodine et qu’elle n’aurait pas d’impact particulier sur ma vie. Pourtant, avec le temps, certains effets sont devenus évidents.
Les premières questions
C’est vers l’âge de 13 ans que j’ai commencé à me poser des questions. Comme beaucoup d’adolescents, je découvrais mon corps, et les discussions avec mes camarades à ce sujet étaient parfois déstabilisantes. Certains, non circoncis, me demandaient ce que je ressentais et comment je vivais cette différence. Pour moi, c’était normal, je ne percevais pas de distinction, mais eux insistaient sur des aspects que je ne comprenais pas encore. Ils parlaient, par exemple, de la mobilité de leur prépuce, qui pouvait se dérouler pour recouvrir le gland ou s’enrouler en arrière, décrivant cette mécanique comme essentielle à la stimulation. À travers ces échanges, j’ai commencé à comprendre que mon corps, bien que fonctionnel, n’offrait pas ces possibilités. Cette prise de conscience a éveillé en moi une curiosité.
En cherchant des réponses sur internet, je n’ai trouvé que des articles et des sites qui présentaient la circoncision sous un jour favorable, ce qui est en grande partie dû à la manière dont les algorithmes orientent les résultats. On y trouvait des arguments hygiénistes ou prétendument scientifiques vantant les bienfaits de cette pratique. Ces discours, renforcés par ce que j’entendais autour de moi, m’ont conduit à minimiser mes doutes. En y repensant aujourd’hui, je mesure à quel point les informations disponibles étaient biaisées. Cela m’a retardé dans ma compréhension réelle des conséquences. Et force est de constater que, de nos jours, cette situation n’a pas vraiment changé, l’accès à une information complète et objective restant toujours aussi difficile sur cette question.
L’influence religieuse et la remise en question
À partir de mes 16 ans, j’ai commencé à m’investir religieusement. Comme beaucoup de jeunes musulmans cherchant un ancrage spirituel, j’ai été influencé par des idées salafistes, fréristes ou traditionalistes. Dans ce contexte, la question de la circoncision ne se posait pas : c’était un élément évident de la pratique religieuse. Pourtant, au fond de moi, je savais que les hommes non circoncis jouissaient d’atouts physiologiques. C’était une évidence pour moi, d’un point de vue technique, le prépuce facilitait la masturbation, mais il était surtout une partie intégrante de la nature humaine, naturellement présente dès la naissance. Le retirer, c’était s’opposer à cette nature originelle.
Avec le temps et en approfondissant mes recherches en théologie islamique, j’ai découvert les mouvements réformistes. Ces courants m’ont poussé à questionner mes certitudes, y compris celle de la circoncision. Ce cheminement intellectuel et spirituel m’a permis de commencer à envisager cette pratique sous un autre angle, mais toujours à ce moment-là à travers un prisme religieux.
Une évolution personnelle
Aujourd’hui, après plusieurs années de réflexion et de mise en perspective, j’ai pris conscience de l’impact profond et irréversible de cet acte sur ma vie. Je ressens qu’on m’a privé d’une partie de moi, sans que j’aie eu mon mot à dire. Cette réalisation ne concerne pas seulement la dimension physique mais soulève également des questions sur l’autonomie, le consentement, les traditions, ou encore les pratiques religieuses que nous perpétuons sans les interroger.
Ces interrogations m’ont parfois laissé dans une certaine perplexité. Quand je repense à ces moments de doute, je me rends compte à quel point il est difficile de se défaire des idées préconçues et des normes imposées par la société ou la religion. Mais accepter cette réalité m’a permis de trancher la question, apportant ainsi un certain apaisement.
Imaginons un instant qu’on fasse subir à un enfant une pratique comme la coupe d’un doigt, sous prétexte de traditions religieuses. Cette mutilation serait immédiatement perçue comme inacceptable voire criminelle, car elle touche à l’intégrité physique de l’enfant sans son consentement. Pourtant, la circoncision, qui consiste à retirer une partie du corps d’un enfant (le prépuce) sans qu’il puisse le décider, est souvent justifiée par des raisons culturelles ou religieuses. Si l’on admet que couper un doigt est une atteinte injustifiable à l’intégrité corporelle, pourquoi la circoncision devrait-elle être perçue différemment ? Cette analogie soulève des questions fondamentales sur le respect des droits de l’enfant.
Je ne me mens plus : la circoncision ne m’a apporté aucun avantage. Au contraire, elle a entraîné des conséquences que je ne peux ignorer. L’absence du prépuce, qui protège naturellement la muqueuse, a exposé le gland en permanence aux frottements, ce qui a progressivement réduit sa sensibilité, sans pour autant la faire disparaître totalement. Mais ce n’est pas seulement cette exposition qui est en cause, c’est aussi la perte du prépuce lui-même, une zone particulièrement riche en terminaisons nerveuses. Cette perte de sensations se traduit par une diminution du plaisir, et donc une certaine insatisfaction. À cela s’ajoute la perte d’une certaine mécanique naturelle, le prépuce facilite normalement les mouvements lors des rapports, rendant l’acte plus fluide et souvent plus agréable pour l’autre. Cette diminution du plaisir conduit à une forme d’insatisfaction que je ne peux ignorer. Et si cela m’affecte à ce point, je ne peux qu’imaginer que d’autres hommes, dans le même cas, puissent ressentir la même chose. Aujourd’hui, je souhaite que cette question soit débattue de manière ouverte et honnête, car elle touche potentiellement tous les hommes, quelles que soient leurs origines ou croyances.
Un enjeu de société
La circoncision est un enjeu majeur de notre époque. Elle soulève des questions essentielles, telles que le respect du corps et le consentement, des enjeux qui concernent l’ensemble de notre société. En partageant mon expérience, j’espère contribuer à ouvrir un dialogue constructif et éclairé sur ce sujet. Il me semble essentiel que des espaces de dialogue existent pour permettre à chacun de s’exprimer librement, et que les parents soient mieux informés avant de prendre une telle décision pour leurs enfants.
Pour conclure, je tiens à remercier l’association Droit au Corps pour leur engagement et leur travail. C’est grâce à des initiatives comme la leur que des voix comme la mienne peuvent être entendues. Ensemble, nous pouvons faire avancer la réflexion et sensibiliser à ces enjeux cruciaux. Quand j’ai découvert que cette question touche potentiellement tous les hommes, que ce soit par la circoncision ou le décalottage forcé [ndlr : pratique inutile et dangereuse qui peut blesser l’enfant physiquement et psychologiquement, et mener à une circoncision], j’ai été choqué. Après en avoir discuté avec ma mère, j’ai réalisé qu’en l’absence de circoncision, j’aurais probablement subi le décalottage forcé… Une autre atteinte à l’intégrité corporelle à laquelle je n’aurais pas voulu être confronté.
Note de Droit au Corps : liens insérés dans le texte par nous.