Circoncision : origines, acceptabilité et prévention du SIDA

Questions-réponses sur la circoncision masculine préparé avec M. Michel Garenne, que nous remercions pour le temps qu’il y a consacré.

Sommaire :

  1. Origines et rationalités de la circoncision
  2. Acceptabilité de la circoncision
  3. Circoncision et prévention des MST et du sida

Michel Garenne

Michel Garenne est chercheur en démographie à l’Institut Pasteur. Il est l’auteur de nombreux articles scientifiques sur les dynamiques démographiques en Afrique. Il a travaillé sur la question de la circoncision et du sida et a enseigné la démographie de la santé dans de nombreuses universités françaises et étrangères.

 

Note : les liens, les images et leur légende ont été intégrés par Droit au Corps.

1. Origines et rationalités de la circoncision

Q-1.1 : La circoncision est-elle ancienne et répandue ?

Oui, la circoncision est très ancienne. Pour l’ancien monde, l’origine est incertaine (peut-être 4000 ou 5000 ans avant J.-C.), et les traces géographiques et historiques convergent vers la Nubie (comme pour l’excision), foyer d’où elle semble avoir essaimé dans plusieurs directions :

  • en Afrique du fait des migrations de population, d’abord dans la bande sahélienne qui va du Sénégal à la Somalie où elle est généralisée, puis dans l’Afrique orientale et australe où elle est plus tardive et sporadique et où elle dépend de l’appartenance ethnique.
  • en Egypte dès le 3ème millénaire avant J.-C., puis dans le bassin méditerranéen dans l’antiquité (phéniciens, juifs).
  • en Arabie, puis dans tout le monde arabo-musulman avec l’expansion de l’Islam au Moyen-Age.
  • dans le monde anglo-saxon à la fin du 19ème et au 20ème siècle.

De plus, on trouve des exemples très localisés dans certaines populations du Nouveau Monde (Amérindiens d’Amérique Centrale et de la Vallée de l’Orénoque) et en Océanie dans certaines populations Mélanésiennes et Polynésiennes. La circoncision a dû être inventée et abandonnée plusieurs fois dans l’histoire (comme par exemple chez les Tswana et les Zulus en Afrique australe).

Q-1.2 : La circoncision rituelle est-elle pluriculturelle ?

Tout à fait, car on la trouve dans des sociétés pré- et protohistoriques (en général pratiquée à l’adolescence), dans des sociétés théocratiques (chez les Juifs, où elle pratiquée sur le nouveau-né, et chez les Musulmans, où elle pratiquée sur le jeune garçon), ainsi que dans des sociétés modernes de culture anglo-saxonnes (où elle est pratiquée en général à la naissance).

Q-1.3 : Quelle est la rationalité ultime de la circoncision rituelle ?

C’est une forme d’abus de pouvoir, une pratique faite pour établir une domination sur une personne, une famille ou un groupe.

Dans les sociétés pré- et protohistoriques, c’est une domination des adultes plus âgés (les anciens) sur les adolescents, juste avant leur entrée dans le monde adulte. Dans les sociétés théocratiques, c’est une domination du pouvoir religieux sur les familles et les enfants. Dans les sociétés modernes, c’est une domination du pouvoir médical sur les familles.

Q-1.4 : Quelles sont les justifications données pour la circoncision rituelle ?

Les justifications sont nombreuses et variées. Dans les sociétés anciennes, il s’agit surtout du marquage, de l’appartenance au groupe, et la pratique est présentée comme un rite de passage à l’état d’adulte.

Chez les Juifs, la circoncision est présentée comme un symbole de l’alliance avec Dieu et une obligation religieuse.

Chez les Musulmans, la circoncision est présentée comme un élément de l’hygiène et une obligation religieuse.

Chez les anglo-saxons, la circoncision est présentée comme un élément de l’hygiène physique (propreté) et mentale (prévention de l’onanisme), comme assurant la prévention de certaines maladies (épilepsie, tuberculose, etc.), et plus récemment les maladies sexuellement transmissibles (sida, herpès).

Il ne faut pas confondre ces justifications a posteriori avec la rationalité ultime.

Q1-5 : Circoncision rituelle et indication médicale

Il ne faut pas confondre la circoncision rituelle, réalisée de manière systématique sur les enfants, et l’indication médicale formelle en cas de phimosis sévère, qui reste très rare, ne concerne que certains jeunes adultes et implique rarement l’ablation totale du prépuce.

La circoncision dans le monde

Voir notre dossier : La circoncision dans le monde.

2. Acceptabilité de la circoncision

Q-2.1 : La circoncision est-elle acceptable d’un point de vue de l’éthique médicale ?

Non. Il s’agit d’enlever un tissu sain sans indication thérapeutique, ce qui est contraire à l’éthique médicale.

Q-2.2 : Accepter la circoncision chez l’enfant est-il acceptable d’un point de vue éthique ?

Non, car la circoncision viole le droit de l’enfant à l’intégrité physique.

Q-2.3 : La circoncision chez l’adulte est-elle acceptable d’un point de vue éthique ?

Dans certaines circonstances seulement, et en respectant le principe du consentement éclairé. Il faudrait que l’intervention soit faite à la demande de l’homme adulte, à condition que le praticien l’accepte, et que l’adulte soit correctement informé des effets indésirables (risques de l’opération, perte de sensibilité, perte de lubrification du gland) et des effets fallacieux sur les maladies sexuellement transmissibles (pas de protection au sens strict, mais seulement une faible réduction de la probabilité de transmission).

Q-2.4 : La circoncision est-elle nécessaire à l’identité des populations qui la pratiquent ?

Non, les membres non-circoncis des différentes communautés qui la recommandent ont le même sens d’identité que les autres, et ceci s’applique à tous les groupes connus (africains, juifs, musulmans, anglo-saxons non-circoncis).

Note de Droit au Corps : voir par exemple ce témoignage d’une famille juive qui renonce à la pratique de la circoncision.

Q-2.5 : La circoncision est-elle dangereuse ?

Oui, mais le risque dépend surtout de l’expertise du praticien. Elle peut être mortelle, surtout dans les sociétés traditionnelles sans hygiène, mais aussi dans les sociétés modernes, même si les cas de décès sont très rares. Elle peut conduire à diverses formes de mutilations, dont certaines sont très invalidantes. Elle conduit le plus souvent à une baisse de la sensibilité et à une perte de lubrification du gland.

La mortalité et la morbidité sont des sujets tabous, même dans les sociétés modernes, et peu de statistiques sur le sujet sont fiables.

Conséquences de la circoncision masculine

Plus d’information sur les risques de complications de la circoncision : voir cet article.

3. Circoncision et prévention des MST et du sida

Q-3.1 : La circoncision protège-t-elle contre le VIH et les MST ?

Non, la circoncision n’assure en aucun cas la protection contre les maladies sexuellement transmissibles (sida, herpès ou autre MST). La circoncision ne fait que réduire le risque de transmission en cas d’exposition, ce qui est très différent. Seul le préservatif permet d’assurer la protection contre la transmission des MST lors d’un rapport sexuel avec une personne infectée.

Q-3.2 : La circoncision de masse peut-elle enrayer la dynamique de l’épidémie de sida ?

Non. Le meilleur exemple est donné par les très forts niveaux d’infection par le VIH (40 % à 50 % d’infection chez les jeunes adultes) dans des populations entièrement circoncises, comme les Xhosa, les Shangaan, et les Sotho d’Afrique australe.

Q-3.3 : Le préservatif peut-il enrayer l’épidémie de sida ?

Oui. Les populations qui utilisent massivement le préservatif n’ont pratiquement pas le sida, comme au Japon qui utilise depuis longtemps le préservatif comme méthode de contraception. En Thaïlande, à la fin des années 1980, l’épidémie de sida a été enrayée par l’utilisation massive du préservatif au cours des rapports occasionnels, en particulier dans le cas de la prostitution. En Afrique orientale et australe le cours de l’épidémie a été sérieusement altéré par l’utilisation fréquente du préservatif à la fin de années 1990 et au début des années 2000.

Q-3.4 : Les messages donnés actuellement pour promouvoir la circoncision de masse sont-ils corrects ?

Non. La circoncision ne protège pas à 50 %, ce qui d’ailleurs n’a pas de sens au point de vue biologique : même si le prépuce contient de nombreuses cellules cible, il en reste des millions sur le gland et dans l’urètre après l’opération, ce qui permet tout à fait l’infection en cas de rapport non protégé avec une personne infectée.

La circoncision ne fait que réduire la probabilité de transmission de femme à homme lors d’une exposition. Cette probabilité est de l’ordre de 1/1000 à chaque rapport avec une personne infectée, et passe approximativement à 1/2000 si l’homme est circoncis. La circoncision n’affecte pas la transmission d’homme infecté à femme non-infectée. Mais une probabilité apparemment faible à chaque rapport suffit pour infecter la moitié d’une population adulte après 20 ans d’épidémie, comme c’est le cas en Afrique australe.

Q-3.5 : Les continents les moins circoncis ont-ils plus de sida ?

Non, l’Afrique qui est le continent où la circoncision est la plus fréquente est aussi celui qui a le plus de sida. L’Extrême Orient où la circoncision est pratiquement inconnue a très peu de sida transmis sexuellement. L’Amérique du Nord est plus circoncise que l’Europe occidentale mais a plus de sida.

Q-3.6 : La recommandation de l’OMS de 2007 était-elle fondée ?

Non, c’est une recommandation hâtive, prise sous la pression d’activistes acharnés, sans débat ni discussion avec les personnes qui présentaient des arguments opposés, scientifiques ou éthiques. Le soi-disant consensus a été établi par sélection d’un comité acquis à la circoncision de masse et en excluant les opposants. Ce comportement surprenant a été dénoncé dès que la décision a été publiée en 2007.

Sida et globules rouges

Voir notre article : Circoncision et SIDA.

Publications scientifiques

Pour en savoir plus :

Aggleton P. (2007). “Just a snip”?: a social history of male circumcision. Reproductive Health Matters; 15(29):15-21.

Connolly C, Simbayi LC, Shanmugam R, Nqeketo A. (2008). Male circumcision and its relationship to HIV infection in South Africa: results of a national survey in 2002. South African Medical Journal; 98(10): 789-794.

Darby R. (2005). A Surgical Temptation: The Demonization of the foreskin and the rise of Circumcision in Britain. Chicago: University of Chicago Press.

Dickson NP, Van Roode P, Herbison P, Paul P. (2008). Circumcision and risk of sexually transmitted infections in a birth cohort.Journal of Pediatrics; 152: 383-387.

DowsettGW, Couch M. (2007). Male Circumcision and HIV Prevention: Is There Really Enough of the Right Kind of Evidence? Reproductive Health Matters; 15(29): 33-44.

Garenne M. (2006). Male circumcision and HIV control in Africa. PLoS Medicine; 3(1): e78. [Letter]

Garenne M. (2007). Male circumcision as a public health policy: ethical challenges. Journal of Medical Ethics, 33(6): 357-361. [e-letter for Rennie et al.].

Garenne M. (2008). Long-term population effect of male circumcision in generalized HIV epidemics in sub-Saharan Africa. African Journal of AIDS Research; 7(1):1-8.

Garenne M. (2010). Mass campaigns of male circumcision for HIV control in Africa: Clinical efficacy, Population effectiveness, Political issues. In:  Denniston GC, Hodges FM,Milos MF(Editors). Genital Autonomy.Protecting Personal Choice. Springer Science+Business Media B.V., Dordrecht: 49-60.

Garenne M. (2012). La circoncision médicale masculine comme outil d’une politique sanitaire : le marketing de la science. (Commentaires sur un article de A. Giami, C. Perrey et al). Sciences Socialeset Santé; 30(1): 39-46.

Garenne M, Giami A, Perrey C. (2013). Male circumcision and HIV control in Africa:Questioning scientific evidence and decision making process. Chapter 8, In: “Global Health in Africa”; Edited by Tamara Giles-Vernick& James Webb. Ohio PressUniversity.

Gollaher DL. (2000). A History of the World’s Most Controversial Surgery. New York: Basic Books.

Green LW, Travis JW, McAllister RG, Peterson KW, Vardanyan AN, Craig A. (2010). Male circumcision and HIV prevention: insufficient evidence and neglected external validity. American Journal of PreventiveMedicine; 39(5): 479-482.

Perrey C, Giami A, Rochel de Camargo K, de OliveriraMendonça A. (2012). De la recherche scientifique à la recommandation de santé publique : la circoncision masculine dans le champ de la prévention du VIH. Sciences Sociales et Santé; 30(1): 5-38.

Richters J, Smith AM, de Visser RO, Grulich AE, Rissel CE. (2006). Circumcision in Australia: prevalence and effects on sexual health. International Journal of STD and AIDS; 17(8): 547-554.

Van Howe RS. (1999). Circumcision and HIV infection: review of the literature and meta-analysis. International Journal of STD & AIDS; 10(1): 8-16.

Van Howe RS. (1999). Does circumcision influence sexually transmitted diseases? A literature review, British Journal of Urology International; 83, Supplement 1: 52-62.

WHO/UNAIDS. (2007). New Data on Male Circumcision and HIV Prevention : Policy and Programme Implications. WHO/UNAIDS Technical Consultation on Male Circumcision and HIV Prevention: Research Implications for Policy and Programming. Conclusion and recommandation. (Montreux: WHO/UNAIDS).