Circoncision en Suisse : reportage (audio)

Reportage diffusé le 15 septembre 2012 sur la radio suisse RTS : « Circoncision, le mystère du prépuce » (durée : 15 minutes).

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Note : l’intervenant nommé Wahid fait aujourd’hui partie de Droit au Corps.

TRANSCRIPTION DE L’ÉMISSION (EXTRAITS)

Partie 1 : Entretien avec Wahid (00:35)

Wahid : Il y a une trentaine d’années, j’ai été enlevé par mon père et circoncis en Algérie sur la terrasse de la maison familiale, entouré d’hommes et de musiciens. Les femmes n’avaient pas le droit d’être présentes.

Journaliste : Et vous saviez ce qui vous attendait ?

Pas du tout. C’était l’effroi. En plus, c’était dans un endroit où je ne connaissais personne, dans une langue étrangère, dans une culture étrangère, alors que je suis né en Suisse. J’étais complètement perdu.

En fait, j’avais tout refoulé, tout oublié, et c’est ressorti à l’âge de 30 ans, en flashback et en rêves. Si on peut appeler ça des rêves : plutôt des cauchemars.

Vous aviez 4 ans, est-ce que vous vous êtes débattu ?

Oui, j’ai essayé de me débattre, mais c’était impossible. Il y avait 4 adultes qui me tenaient pendant l’acte.

Il est de tradition que ce soit le coiffeur du quartier qui pratique la circoncision puisqu’il sait manier les ciseaux ou une lame de rasoir. En fait c’est mon demi-frère qui est passé en premier, puisqu’il est plus âgé que moi, pour montrer qu’il est un homme. Après, j’allais y passer aussi. Il a crié et je ne sais pas ce qu’il s’est passé après. Ils l’ont pris, mis à l’écart et après ils sont venus sur moi.

Partie 2 : Entretien avec le Docteur Pascal Ramseyer (02:16)

Docteur Ramseyer : Je suis amené à voir pas mal d’enfants pour des circoncisions. Entendons-nous bien : j’accepte de faire des circoncisions d’origines culturelles, justement pour essayer de faire les choses dans des conditions correctes pour l’enfant.

Journaliste : Il y a une façon différente de procéder suivant si c’est une circoncision médicale ou une circoncision religieuse ?

En théorie pas, la circoncision reste l’ablation chirurgicale de la peau du prépuce, mais il faut insister sur le fait que les parents qui viennent avec une connotation culturelle ou religieuse derrière sont très demandeurs et vindicatifs d’une résection très courte de la peau. On est confronté à des circoncisions néonatales avec notamment des amputations très sévères de la peau de la verge qui posent des gros soucis de réparation secondaire.

Wahid a dû aller à l’hôpital après sa circoncision à 4 ans, en Algérie. Des cas comme Wahid, vous en voyez beaucoup ? 

Beaucoup, c’est peut-être exagéré. On voit régulièrement des enfants revenir à nos cabinets de spécialistes après des circoncisions puisque les parents trouvent le geste chirurgical mal fait ou avec des résultats incorrects à leurs yeux.

(…)

Partie 3 : Entretien avec de jeunes footballeurs (04:12)

Journaliste : Tu sais pourquoi tu as été circoncis ? On t’a expliqué ?

Un enfant : non, pas vraiment, mais c’est la religion je crois.

Mais pourquoi la religion ? Parce qu’il y a d’autres gens qui sont religieux et qui ne sont pas circoncis.

Bah je sais pas, c’est mes parents qui ont voulu.

(…)

Partie 4 : Entretien avec un couple (06:09)

Journaliste : Quelques rares parents renoncent à la Brit Milah, la circoncision juive qui se pratique déjà 8 jours après la naissance, sans anesthésie. Exemple avec ce couple : papa est chrétien, maman est juive, et la voici qui allaite la petite dernière, pour qui la question ne se posera pas.

La maman : Notre fils a 4 ans et demi. Nous avons décidé de ne pas le faire circoncire à sa naissance. C’est un petit peu à l’image de notre couple, un couple mixte. Je crois que l’une des premières raisons, c’était de ne pas inscrire dans sa chair la marque religieuse ou de tradition de l’un plus que de l’autre. On trouvait que ce n’était pas juste. Et puis il est vrai que l’un comme l’autre nous ne sommes pas très pratiquants, même si attachés à notre tradition chacun à notre façon.

(…)

Partie 5 : Entretien avec un chirurgien et mohel (circonciseur juif) (08:25)

(…)

Chirurgien-mohel : Le prépuce contient une structure nerveuse extrêmement développée et riche en récepteurs sensoriels qui sont extrêmement importants dans l’acte sexuel et qui concourent à l’orgasme chez l’homme.

Dans la religion juive, dans la tradition, l’excision du prépuce permet en fait de placer l’homme devant sa responsabilité, d’éviter toute perversion et de lui dire en quelque sorte : « attention, tu devras rendre des comptes aussi de ta moralité, de ton éthique, vis-à-vis de ton dieu, vis-à-vis de ton créateur. »

Journaliste : La circoncision est en quelques sortes une garantie contre la perversion ?

C’est une question à laquelle il est très difficile de répondre, parce qu’on a pas vraiment de garantie. Mais il est évident que c’est une marque qui permet d’atténuer les tendances, les pulsions sexuelles comme dirait Freud, qui sont innées en nous. Et le but au fond n’est pas d’empêcher, mais de canaliser. Cette excision du prépuce, spirituellement, est un potentiel que l’on donne à l’enfant de canaliser son futur par rapport à sa moralité. 

Partie 6 : Entretien avec Sami Aldeeb (11:17)

Journaliste : Pour le mohel, la circoncision c’est l’atténuation du plaisir, la canalisation de la perversion. Et pour les musulmans ?

Sami Aldeeb : Ce que dit le mohel, on va le retrouver chez des théologiens musulmans. Eux disaient qu’en coupant le prépuce on va rendre le gland plus dur et moins sensible, et ainsi on va réduire le plaisir. Mais ça c’était avant qu’on donne de l’importance au plaisir sexuel. Et quand les gens ont vu dans l’acte sexuel quelque chose de positif, ils ont renversé l’argument. Ceux qui étaient en faveur de la circoncision pour réduire le plaisir ont dit « ah non non, c’est juste le contraire ! ». D’un jour à l’autre, ça s’est renversé. Aujourd’hui il y a des gens qui vous disent le contraire : que la circoncision augmente le plaisir. Chez les juifs, chez les chrétiens et chez les musulmans.

(…)

Partie 7 : Retour avec Wahid (13:20)

Wahid : C’était sur la terrasse, dans un village qui s’appelle Chlef. (…) Avec une musique traditionnelle assez forte pour couvrir les cris des enfants.

(…)

Journaliste : De qui est-ce que vous vous sentez victime ?

Wahid : En premier lieu de la part de mon père, parce qu’il ne m’a pas laissé le libre-arbitre.

Mais lui-même, c’était aussi le cas ?

Oui, il y a comme un espèce de transfert de culpabilité. Si le père ne fait pas circoncire son garçon ou ses fils, la culpabilité ne peut pas être transférée.

Et vous Wahid, si un jour vous avez des enfants, un fils, est-ce que vous ne pensez pas que cette tradition sera plus forte ?

Non, mon choix sera que l’enfant choisira de lui-même, puisque tout ce que j’ai traversé je ne veux pas qu’il le traverse. Je voudrais qu’il évite tout ça.

Source : rts.ch