« Je veux dénoncer les blessures physiques et psychologiques infligées par la circoncision »

Vincent (le prénom a été changé) a été circoncis lors de son adolescence. Aujourd’hui âgé de 23 ans, il a souhaité partager les souffrances qui en ont résulté. Voici son témoignage.

Image d’illustration.

Témoignage

Je veux dénoncer les blessures physiques et psychologiques infligées par la circoncision

J’ai actuellement 23 ans, je suis quelqu’un de plutôt jovial qui aime la vie, qui aime rire, les plaisirs simples, qui aime faire du sport, étudier et aussi qui aime manger (je suis gourmand…). Tous ces plaisirs qui font de moi ce que je suis maintenant et qui m’entourent encore en ce moment sont un peu ma philosophie de vivre, bien que les choses aient beaucoup changé depuis quelques mois.

J’en viens donc maintenant au fait. Je suis circoncis depuis l’âge de 14 ans où on m’a fait état d’un phimosis partiel (le décalottage était possible au repos mais pas en érection) qui me gênait un peu : j’en ai donc parlé à mes parents. À mes 9 ans j’avais déjà fait à un passage au cabinet d’urologie pour des problèmes de décalottage sans souvenirs trop clairs là-dessus, mais à mes 14 ans la décision a été prise pour que l’on me fasse une simple incision dans le prépuce, une opération beaucoup moins lourde qu’une posthectomie (terme chirurgical de circoncision). Bien que les souvenirs restent flous, je m’étais donc préparé à subir cette intervention, soit une petite incision sur mon pénis pour me libérer de ce phimosis partiel. Cependant, l’opération en elle-même n’a pas dû fonctionner ou bien a été loupée, je ne sais pas, mais quoi qu’il en soit je me suis retrouvé avec un nouveau sexe circoncis à l’opposé de celui que j‘avais avant, ce fût donc un choc qui de plus intervint dans une période où je commençais aussi à me familiariser avec mon corps et ma sexualité (bien que ce fût là aussi compliqué, étant homosexuel je ne voulais pas que ça se sache).

De mes 14 ans à mes 22 ans j’ai continué ma scolarité puis entamé des études dans une université scientifique sans me préoccuper de ce que l’on m’avait fait, en laissant un peu le problème endormi, de côté. Mon homosexualité a été difficile à assumer car je n’aimais pas me sentir tel quel et différent des autres, une sorte de honte. J’ai donc vécu seul jusqu’à mes 22 ans, entouré de ma famille certes mais quand même seul (j’ai commencé à habiter seul à partir de 18 ans), sans me soucier de rien du côté sexuel car le sexe à deux ne m’attirait pas vraiment et n’ayant pas connu l’amour jusqu’ici je n’en voyais pas l’envie. En ce qui concerne la masturbation, je n’ai pas de souvenirs particuliers sur la fréquence où je l’ai pratiquée mais elle a toujours été alimentée de contenus pornographiques (images et vidéos avant mon opération puis vidéos exclusivement par la suite). Je n’ai pas ressenti de réelle dépendance toutefois, avec quand même, au fil des années, une impression de besoin de moins en moins présent et une excitation pour le sexe un peu moins présente, mais ça je m’en rends compte maintenant que je suis blessé psychologiquement donc suis-je objectif ?

Bref, quoi qu’il en soit, pas de souvenirs marqués. Le seul souvenir qui jusque-là est resté ancré date d’avant mon opération où j’avais déjà commencé à me masturber et avait connu une/des sensation(s) que je n’ai jamais retrouvée(s) depuis (si, une fois : un avant-goût, mais pas longtemps et dans des conditions particulières) avec comme lointain souvenir une qualité d‘éjaculation beaucoup plus marquante qu’actuellement et que ces dernières années, avec une sensation de bien-être intense (pourtant mes niveaux hormonaux que j’ai fait vérifier sont plutôt bons, excepté des taux de prolactines un peu plus hauts que la normale sans que cela inquiète les « spécialistes » que je suis allé voir). Mais bon, je me disais que c’était normal, peut-être avec l’âge, je ne sais pas.

Depuis l’été dernier, je suis en couple avec un homme que j’aime beaucoup et qui m’aime lui aussi à même hauteur. Malgré notre différence d’âge de 7 ans (je suis plus jeune que lui) et nos premiers débuts en laissant le sujet du sexe un peu de côté au début, je me disais que j’allais vivre une relation à deux avec une personne très gentille, généreuse et très attachante que j’aime toujours et que je continuerai d’aimer le plus longtemps possible je l’espère.

Les complications sont apparues lors de nos premières fois (il s’agissait uniquement de préliminaires au début et c’est toujours le cas). Dans un premier temps, de mon côté curieux, je lui ai posé des questions sur ses moments en solitaire, etc. Je n’irai pas plus loin là-dessus car ce n’est pas ma vie privée mais je peux dire que ses réponses ne m’ont pas rassuré. Je ressentais chez lui un niveau d’excitation que je ne voyais pas le moyen d’atteindre. Je me demandais même comment il était possible de se mettre dans pareil état avec des battements de cœur que j’associais à ceux éprouvés lors d’un effort physique pendant le sport. Non clairement je ne comprenais pas ce qu’il se passait. Ça a commencé à me faire réfléchir. Bien sûr, beaucoup d’autres points sur la sexualité nous différencient, comme la qualité des érections, nos fluides corporels (quantité/tonicité)… Je ne vois que deux choses qui peuvent nous différencier à ce point : soit je suis trop blessé psychologiquement (option choisie à chaque fois que j’allais voir un « spécialiste ») ou alors une grande partie de ces points proviennent de ma circoncision. Je préfère croire à la deuxième option, sans complètement effacer la première qui me semble la plus raisonnée, et en lisant des témoignages je ne peux que renforcer cette opinion. Je me demande parfois si ce n’est pas en lisant des témoignages négatifs sur cette opération que j’en suis arrivé à être comme ça, mais en y réfléchissant bien je ne pense pas, non, et de voir toutes ces personnes qui en souffrent, souvent en silence, je ne trouve pas ça normal.

Je dois dire qu’après plusieurs conversations sur notre passé (entre moi et mon compagnon) et les constats de ces derniers mois, j’ai l’impression d’avoir une libido que je qualifierais d’endormie (je suis plus jeune de 7 ans tout de même) en essayant de me dire que ce n’est pas à cause de cette opération. Non, quand même, une simple opération si banale ne peut pas affecter la libido… et pourquoi pas ? J’ai parlé avec des amis de mon âge qui ne sont pas opérés, sans filtre, sur les différences que je constatais entre moi et mon compagnon. Je n’aurais pas dû car les réponses que je redoutais sont tombées. Je me suis donc senti très seul, et c’est encore le cas.

Les jours ont passé, les mois aussi, et j’ai commencé à entamer des recherches sur internet que je n’aurais jamais dû entreprendre car ça m’a fait mal et ça continue de me faire mal. Je suis tombé dans une profonde réflexion sur moi-même avec une vision de mon sexe toujours négative (ça devait l’être aussi avant, mais avant je n’y pensais pas puisque je ne pouvais pas me comparer directement). Ce qui me fait le plus peur dans tout ça c’est de savoir que ce qui a été fait aurait pu selon moi être évité, mais par-dessus tout ce sentiment de retour en arrière impossible, de devoir rester comme ça jusqu’à la fin de mes jours avec un sexe blessé et ses capacités diminuées, un sexe à qui on a enlevé une partie de lui (j’entends encore les « vous serez tranquille comme ça, c’est une opération banale sans conséquences, c’est juste un morceau de peau que l’on vous a enlevé »). Enfin bref, de nature joyeuse je ne vous cache pas qu’après des mois de lecture, de témoignages, de confrontation à la réalité qui va de sens avec ce que j’ai lu, de pensées négatives indélébiles, j’ai pensé à en finir en allant jusqu’à la tentative de suicide que j’ai heureusement écourtée grâce au sentiment d’égoïsme et d’amour pour mes proches que j’ai éprouvé pendant cette tentative, et la raison qui m’a rattrapé fort heureusement. Je ne voyais vraiment aucune issue à ce problème, je n’en vois toujours pas d’ailleurs si ce n’est de reconsidérer le problème et de mettre ma force ailleurs parce que j’aime la vie tout de même.

Une vie amoureuse qui mêle amour mais jalousie ainsi que refus de soi, sentiment d’incompréhension autour de soi (« c’est psychologique, c’est psychologique, c’est psychologique » : je ne sais pas combien de fois on a dû me le dire après une visite chez l’urologue qui m’a opéré, un sexologue renommé, docteurs, psy…), sentiment de ne pas connaître (retrouver) ce que j’aurais pu (j’ai) connaître (un peu connu) en étant intact  et ce sentiment de réparation complète impossible. Il m’est arrivé d’avoir un souvenir d’une ou plusieurs sensations sur mon ancien organe mais ça reste juste des souvenirs que je ne peux plus reproduire maintenant, enfin je ne pense pas. 

C’est sûr que mon petit cerveau en a bavé et continue d’en baver… Heureusement que j’ai mon copain qui m’aime et qui s’accroche comme moi je m’accroche, ma famille, mes amis et des objectifs dans la vie qui me tiennent. Mais personne ne pourra se mettre vraiment à ma place.

Pour résumer, je vis donc mal cette opération alors que j’ai vécu 8 ans avec (depuis mes 14 ans) en me cachant la vérité (je n’osais pas trop regarder car je ne reconnaissais plus cette partie de mon corps, c’est d’ailleurs encore le cas). Je ne pensais pas que ça prendrait de telles proportions de se faire retirer un bout de soi, même un petit bout de peau en moins, que je vis maintenant comme un sentiment de castration, comme me l’a dit un psychologue que je suis allé voir. Oui, j’y pense tous les jours depuis près de 9 mois maintenant et j’en souffre beaucoup. Je pense souvent à ce qu’aurait été mon présent sur le plan sexuel si je n’avais pas subi une opération aussi lourde de sens. Maintenant je dois me montrer fort et tout encaisser en me concentrant sur ce que j’ai, c’est-à-dire pas assez selon moi. J’écoute beaucoup de musique, ça me fait du bien et me permet de me détacher de mes problèmes, mais ils me reviennent assez vite en tête en général. Mes états d’esprit sont devenus aussi très changeants d’une journée à l’autre, ce qui ne m’arrivait pas avant. C’est un véritable bouleversement mental qui s’est opéré depuis plusieurs mois.

Il y a un sentiment particulièrement désagréable qui me hante depuis ces derniers mois, celui de me sentir incomplet pour des raisons qui ne côtoient pas l’accident, mais qui je pense relèvent de la bêtise humaine, sans essayer de vraiment comprendre le corps en lui retirant une partie de son organe génital masculin. Je me suis intéressé à la restauration, qui consiste à reconstruire un « prépuce » en étirant le reste de peau qui est présente sur la verge, mais est-ce que je serais assez fort psychologiquement pour tenir le coup ? Ne serais-je pas mieux comme ce que j’ai été durant ces dernières années en mettant le sexe un peu de côté ? 

Je pense qu’être gay, circoncis et sortir avec un homme « normal » fait se poser des questions qu’il vaudrait mieux ne pas se poser. Ces questions, je pense que je me les suis toutes posées, maintenant j’encaisse tout seul (du soutien de la part de mon copain qui me comprend, mais parfois je ne comprends pas et je ressens ce sentiment de peur et de jalousie quand il s’agit de recevoir ou donner du plaisir, par peur de ne pas pouvoir en recevoir ou de ne pas recevoir ce que j’arrive à donner à l’autre). J’aimerais ressentir plus cet amour si beau qui nous lie pendant l’acte sexuel, en laissant de côté la frustration, la peur et la jalousie. J’ai pensé à arrêter et rester seul pour laisser cette partie de moi tranquille et en n’y pensant plus, du moins sans devoir y être confronté et cesser toute comparaison avec un autre qui pourrait me faire mal. Alors la restauration, pourquoi pas oui, mais si je ne suis plus en couple je n’en vois pas l’envie et je vivrais mieux le fait d’être bien avec moi-même en laissant cette partie de côté ; mais puisque je veux que ma relation dure le plus longtemps possible, pourquoi pas.

Pour mon bien, je ne veux pas que l’on parle de mutilation, amputation, etc. J’ai déjà le sentiment que ça en est une en rendant l’accès au plaisir difficile (je ne dirais pas impossible, mais les sensations n’y sont pas pour l’instant) et avec la sensation d’un membre déconnecté du reste du corps. Cette opération n’explique peut-être pas tous ces problèmes, mais j’ai quand même la sensation qu’une grande partie d’eux proviennent de cet acte chirurgical de manière directe (physique) ou indirecte (psychologique).

Je n’ai pas envie de ressembler à cette personne triste et qui a perdu le goût de vivre. J’aime rire, j’aime la vie, j’aime mon travail, j’aime aussi les moments où je suis seul avec moi, mais plus que tout j’aime être heureux. Toutefois avec ce que je traverse c’est très difficile…

Vincent

Note de Droit au Corps : liens insérés dans le texte par nous.